Journal d’un méliphile, octobre 2025

 

« Pour une cohabitation pacifiée avec la faune »

entretien avec Catherine Le Troquier

 

Le parking végétalisé et jardin du « grand terrier », à Valaire, en octobre 2025, avec le portique au renard et au blaireau.

 

Pour conclure ce mois méliphile marqué par les rencontres, les élans collectifs, les échos des luttes écologiques et citoyennes en cours, je joue un peu les journalistes en m’entretenant avec Catherine Le Troquier, maire courageuse de la petite commune de Valaire, dans le Loir-et-Cher, dont l’arrêté interdisant le déterrage des blaireaux publié en 2019 m’avait donné envie d’en savoir plus…

 

Catherine Le Troquier, maire de Valaire, en sa « grande bibliothèque » (photographie : La Nouvelle République).

Catherine Le Troquier, vous êtes maire de la commune de Valaire, et vous avez publié en 2019 un arrêté interdisant la pratique du déterrage des blaireaux. Quelles ont été les suites de cette démarche ?

Dans un premier temps, il a été suspendu, ce qui fait que je n’ai pas pu empêcher le massacre de se faire, puis deux ans après il a été annulé. J’avais contre moi le préfet mais aussi le ministère de l’écologie de l’époque. Par la suite, j’ai perdu en appel, mais cette action a eu l’avantage de faire connaître auprès du grand public le déterrage que quelques chasseurs-déterreurs pratiquent sans faire de publicité. Nous avons mis en avant, dans notre mémoire en défense, la notion de dignité humaine. Se livrer à des massacres en public, donner l’horreur à voir, pose question, n’est-ce pas ? Il y a eu d’ailleurs un suivi intéressant des communes, du département et de la région qui ont fait des vœux contre les déterrages de blaireaux. C’est quelque chose qui est en route mais qui met du temps à s’imposer, car chaque année la décision de reconduire les périodes complémentaires de déterrage des blaireaux à partir du 15 mai reste à la discrétion du préfet. Nous sommes arrivés à ce que, dans notre département, le préfet ne l’autorise plus ces deux dernières années, mais cela reste fragile, car nous sommes dans un département qui subit une pression de la chasse importante. Il faut dire que Monsieur Hubert-Louis Vuitton est président de la fédération départementale de chasse et… vice-président de l’O.F.B. Cette collusion entre le pouvoir et la chasse fait qu’on marche sur des œufs, mais on avance quand même.  

Quelles ont été les réactions au sein du village de Valaire ?

Peu de gens ont le feu sacré quand il faut aller à la guerre ! J’ai eu en retour une indifférence aimable, et une hostilité appuyée de la part du milieu agricole et chasseur. C’était une bataille assez solitaire, mais j’ai quand même emmené mon conseil municipal avec moi, et j’ai été bien suivie par certains maires de communes, par les partis politiques des Écologistes et des Animalistes et les associations nationales (A.S.P.A.S., L.P.O., One Voice) et locales, comme Sologne Nature Environnement, mais c’était plutôt en dehors de la commune. J’ai reçu le macareux d’or de la L.P.O., suite à tout ça ! 

Quelle est la situation du blaireau dans le Loir-et-Cher ? Est-ce que vous savez s’il y a beaucoup d’équipages de déterrage ?

Il y a environ une trentaine d’équipages sur le département, mais le problème est surtout que Monsieur Vuitton, qui n’est pourtant pas, d’après mes informations, un grand fan du déterrage, ne veut céder sur rien, parce qu’il craint que céder sur la petite vénerie remette en cause la « grande », la chasse à courre ! Ce sont des gens qui veulent rester sur leurs acquis. Ils continuent d’affirmer chaque année que le blaireau est porteur de tuberculose bovine, ce qui est faux dans notre région, et autres bêtises. Ils restent immuables dans leur structure mentale, malgré tous les rapports qui montrent qu’il faut le moins possible perturber les milieux naturels si on veut éviter les épizooties. [Depuis 2001, la France est en effet considérée comme « officiellement indemne de tuberculose bovine » par l’Union européenne, mais des foyers persistent dans certains élevages, susceptibles de contaminer la faune sauvage et les autres animaux domestiques. C’est la raison pour laquelle, dans les zones à risque, un arrêté ministériel du 7 décembre 2016 interdit « la pratique de la vénerie sous terre pour toutes les espèces dont la chasse est autorisée en raison du risque de contamination pour les équipages de chiens ».]

Cette collusion entre pouvoir et milieu de la chasse doit absolument cesser, ce qui, avec le président actuel, n’est pas gagné… 

Pouvez-vous revenir sur les circonstances dans lesquelles vous avez été amenée à prendre cet arrêté ?

J’étais élue depuis quelque temps et j’ai vu arriver sur mon bureau cet arrêté préfectoral sur la période complémentaire de déterrage. « Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Pourquoi est-ce qu’on reconduit ça tous les ans ? Pourquoi est-ce qu’on va déterrer les blaireaux ? » J’ai posé ces questions, et l’on m’a expliqué qu’on le faisait… parce que ça se faisait… Dans un premier temps j’ai formulé un recours gracieux auprès de la préfecture, qui a refusé. Alors les hostilités ont commencé… Symboliquement, il fallait taper fort sur cette rébellion naissante ! C’est un peu la même aberration avec les épisodes de grippe aviaire. J’ai interrogé les services de la préfecture pour qu’ils m’expliquent pourquoi on demande aux habitants de rentrer leurs volailles tout en autorisant les lâchers de faisans pour la chasse ; la réponse a été hallucinante : « Les faisans qui ont la grippe aviaire développent des symptômes qu’on aperçoit beaucoup plus vite que sur la volaille ! » 

Mais pour revenir sur ma démarche, je dois préciser que je n’avais pas prévu de devenir maire. Quand je suis arrivée, il y avait eu des démissions, il fallait faire des élections complémentaires, et puis je me suis retrouvée d’abord première adjointe, pour voir combien de temps j’allais tenir, puis maire ! J’ai alors profité de ce mandat pour essayer de mettre en marche quelque chose qui m’est extrêmement cher, installer une cohabitation pacifiée entre l’humain et la petite faune sauvage. Cet arrêté a été l’occasion de voir ce qu’on pouvait faire. J’en aurais bien fait autant avec le renard, mais il est encore sur la liste des « espèces susceptibles d’occasionner des dégâts » alors que le blaireau est classé comme gibier. Notre vision anthropocentrique fait qu’on essaie d’éradiquer tout ce qui n’est pas directement « utile »… 

D’où vous vient cette sensibilité à la faune ordinaire, qui n’est pas si répandue en France ?

Mon père était un amoureux de la nature et des animaux. C’est quelque chose qu’on développe dès la petite enfance, et ce rapport a toujours existé pour moi. J’ai beaucoup d’empathie pour les animaux, spécialement pour les petites créatures qui sont extrêmement fragiles et qui sont souvent des cibles.

Zoom sur le portique, le jour de l’inauguration..

C’est pour cela aussi que j’ai fait réaliser dans la commune ce que j’appelle ma « grande bibliothèque ». La commune a acheté un terrain à côté de la mairie, dont on avait besoin pour faire un parking mais dont on a fait un parc qu’on a nommé « le grand terrier » : c’est un espace naturel planté, avec une partie où l’on peut stationner, et au fond duquel un verger a été créé en partenariat avec de jeunes vignerons qui ont repris des vignes qu’ils cultivent en méthode naturelle. C’est un bel endroit, avec un renard et un blaireau magnifiques sur le portique d’entrée. Quand on a inauguré cet espace, les gens qui passaient s’arrêtaient pour regarder. Je suis contente de cela : quand on passe à Valaire, on voit forcément le renard et le blaireau ! Et si l’on donne à voir quelque chose, les gens sont prêts à réfléchir.

Le village est « refuge chauves-souris », refuge L.P.O., labellisé « territoire engagé pour la nature », la chasse est interdite dans les bois communaux. Il y a en outre au village une communauté bouddhiste zen internationale [le temple de La Gendronnière, l’un des principaux temples européens de l’école Sōtō du bouddhisme zen, fondé en 1980 par Taisen Deshimaru] qui possède quatre-vingt hectares de forêt : nous avons travaillé avec eux, ce qui ménage de nouveaux lieux durablement protégés. Il y a quelques jours, nous avons célébré aussi le « Jour de la nuit », démarche qui alerte sur la pollution lumineuse. Tous les ans, nous invitons des intervenants différents, nous organisons un dîner aux chandelles, et cette année j’ai proposé de visionner un affût aux blaireaux de Yann Lebecel, qui durait quand même quarante minutes. On n’a pas entendu une mouche voler et à la fin, tout le monde posait pleins de questions : « Je n’avais jamais vu les blaireaux !… », « Mais pourquoi on les embête ? »

On change le regard. Dans les campagnes, ça reste compliqué, mais ça change peu à peu – même si on a en face toute une tripotée de gens bien décidés à ne rien céder ! 

Vous allez vous représenter aux prochaines municipales ?

Il y a quelques mois, j’aurais dit non, mais il s’est passé quelque chose de formidable. Je me préparais à supporter que ce qui avait été fait soit défait, et puis des jeunes gens, des trentenaires vignerons, brasseur, batelière, artiste, sont venus et m’ont dit qu’ils voulaient continuer dans cette direction. Je ne peux pas les laisser seuls avec cet enthousiasme ! Finalement, je me dis que j’ai un peu gagné. Valaire maintenant a une petite notoriété, nous sommes « sales bêtes friendly »… Ce n’est pas un lieu privilégié, les résistances sont fortes, mais la démarche est là et j’essaie de la rendre visible. C’est le contraire de la chasse : ça ne fait pas de bruit, c’est non violent… et nous sommes têtus !

 31/10/25

Grand merci à Catherine Le Troquier pour sa disponibilité et pour les documents mis à ma disposition, notamment un gros dossier retraçant toute cette aventure et ces déboires parfois ahurissants…

 

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