Journal d’un méliphile, octobre 2025

 

Dix nuits au terrier

(journal d’observation, 8 au 19/10)

 

 

Nuit du 8-9/10. Les caméras n’enregistrent plus que 2’30 de présence : Courage quitte la gueule 1 à l’heure habituelle (19h56), s’en va par l’esplanade en suivant la sente et en accomplissant les gestes habituels, puis ne revient qu’à l’aube, 5h18. Les caméras des terriers périphérique n’ont rien enregistré et les anciennes latrines sont bel et bien abandonnées. Tout en arpentant longuement le sous-bois alentour, j’imagine la tête du quidam qui, me voyant penché ainsi sans panier ni chien me questionnerait sur ce que je suis en train de trafiquer, et à qui je répondrais : « Je cherche les toilettes… » Mais il n’y a personne, absolument personne qui passe par ici.

9-10/10. Aucune image. Je suis sidéré. Si je ne les avais pas vus enfourner de telles quantités de feuilles, je craindrais un nouvel abandon. Ont-ils profité de la douceur pour passer la nuit sous des souches et se gaver plus longtemps de lombrics et de fruits, ou bien pousser l’escapade plus loin ?

10-11/10. Le film reprend avec une séquence de six minutes seulement. Vara réapparaît devant la gueule 3 vers 21h, comme émergeant d’une très longue sieste. Revoir son gros ventre rassure. Puis Courage traverse l’esplanade à l’aube, 6h48, après une nouvelle longue nuit d’escapade, frôle la gueule 1, repart du côté de la 3, tourne ainsi un moment puis finalement pénètre dans la 1 (les trois caméras qui permettent de voir la scène depuis plusieurs points de vue donnent la trompeuse impression d’une multitude de blaireaux).

11-12/10. Le court-métrage vire au clip, 2’30, avec un scénario proche : sortie de Courage un peu avant 20h par la gueule 1, départ par l’esplanade, puis plus rien jusqu’à son retour au même endroit à 4h15 puis 6h37. Tu tournes en rond, mon pauvre ! ai-je envie de lui dire. Et moi avec.

12-13/10. Le film dure 36 minutes, pendant lesquelles Courage enfourne un peu de litière dans la gueule 3 (où je n’avais vu travailler que Vara) puis reprend le nettoyage de celle de l’esplanade, avec sa vigueur habituelle mais sans l’efficacité spectaculaire de Vara (peut-être aussi la quantité de terre à déblayer est-elle moins importante qu’au début). Creuse-t-il une nouvelle chambre ? Agrandit-il celle qui existe ? Se contente-t-il d’entretenir les galeries ? Je n’en saurai jamais rien. Le visionnage accéléré de cette longue séquence répétitive transforme cependant le blaireau en grosse hermine détraquée et donne au film le caractère sautillant d’une saynète de Buster Keaton, surtout lorsque Courage s’arrête et dodeline de la tête… Le travail se poursuit, avec des disparitions qui sont peut-être des pauses, jusqu’à 22h15, puis Courage s’en va et nul blaireau ne revient. Un loir joue dans les branches.

13-14/10. C’est une nuit complète (sortie à 20h15, retour à 6h38), avec un documentaire d’une vingtaine de minutes non commenté et non scénarisé sur l’enfouissage de la litière. Je pense que je pourrai bientôt rouler moi-même mes propres boules en ondulant du dos, allons, j’essaie avec la housse de couette, les feuilles de la corbeille… Courage d’abord marque l’entrée du terrier, puis gratte le sol et commence à ratisser, en ramenant d’abord les feuilles de châtaigniers qui sont les plus proches puis en allant les chercher de plus en plus loin. Ses longues griffes sont mobilisées en priorité, mais aussi son museau qui semble aussi mobile qu’une trompe, son ventre qui semble s’élargir et faire ventouse, tout son corps. Comme un enfant occupé à rouler la neige d’un grand bonhomme, Courage inlassablement remonte à vide et redescend chargé de feuilles la pente douce de l’esplanade illuminée pour moi seul – un Sapiens qui passerait par là à cette heure entendrait certes un bruit de feuilles froissées mais ne verrait rien du tout. Il faut avouer que le lieu offre une configuration idéale pour ce travail. La grosse branche de châtaignier tombée depuis longtemps marque la partie supérieure et sert de frontière entre le monde de l’esplanade et celui de l’escapade : quand Courage la franchit, il s’en va pour longtemps. Cette nuit, cependant, c’est par le toboggan qu’il disparait, après un peu moins d’une heure de travail. Les loirs, ces écureuils de la nuit, assurent la continuité de la présence animale : en voici un qui fait des cabrioles devant la gueule 1, un autre qui entre sans vergogne par la gueule 3… devant laquelle Vara revient, finalement, un peu avant six heures, hirsute et trempée. Elle monte sur l’esplanade, flaire l’endroit où Courage a marqué puis l’entrée du terrier avant d’y pénétrer. Courage rapplique à 6h38 et rentre à son tour. Nulle trace de Prudence cette nuit.

14/10. Courage fait à 19h42 un premier tour d’esplanade si hésitant que j’aurais pu le prendre pour Prudence, si l’absence de marque ne m’avait permis de l’identifier à coup sûr, puis à 21 heures il la traverse de droite à gauche et disparaît. Les caméras ne relèvent plus aucune activité sur le terrier jusqu’au surlendemain.

16/10. Un peu après six heures, Courage redescend l’esplanade de gauche à droite, comme si nulle ellipse ne séparait cette image de la précédente. À sept heures un deuxième blaireau, Vara ou Prudence (il ne m’est pas possible de le déterminer) traverse à son tour l’esplanade pour un retour tardif.

La sortie du 16/10 au soir se fait à l’heure ordinaire de 19h38 par la gueule 3, d’où émerge le beau masque de Courage. Il fait doux et sec et la forêt bruisse de bogues qui tombent et de mouvements de bêtes. Le blaireautin hume avec soin, prend son temps, puis se retourne vers l’intérieur du terrier, s’aplatit curieusement, et la grosse tête de Vara apparait à son tour. S’en suit une brève séance de grattage et d’épouillage mutuel. Vara retourne à l’intérieur, Courage continue à se gratter puis la suit. La caméra de l’esplanade entre temps s’est déclenchée. Le jeu d’enquête se poursuit : ce blaireau qui apparait sur l’esplanade à 19h46 est-il Courage ou Prudence ? Je ne peux rien dire de certain, si ce n’est qu’iel s’en va peu après, par la sente habituelle, pendant que Vara s’occupe un moment à déblayer la gueule 3. Un autre blaireautin déclenche la caméra de l’esplanade alors qu’il se trouve tout près de la gueule 3, ce qui confirme a priori la présence du trio au complet (car le blaireau qui est parti aurait dû déclencher une autre caméra pour se trouver à cet endroit). Vara s’en va à 21 heures. Une caméra supplémentaire que j’ai placée dans le bois la montre qui s’éloigne…

Il n’y a plus d’image jusqu’au surlendemain matin, 18/10, 5h41, où un unique individu traverse pesamment l’esplanade de gauche à droite.

18-19/10. Les blaireaux restent peu au terrier. L’un d’entre eux sort de la gueule 1, traverse l’esplanade à 19h46, se frotte à un arbuste puis passe le poste frontière de la branche de châtaignier. À 4h12 Vara passe devant la gueule 3, puis un blaireau qui est peut-être Courage mais que je ne peux pas identifier parce qu’il est trempé et couvert de terre arrive à son tour à 6h12, marque l’entrée (Courage ?), va marquer et griffer le même arbuste de l’esplanade, puis retourne à la gueule 3, ramoneur au sortir d’une cheminée vraiment crasseuse s’ébroue et se gratte un peu, se fait aussi les griffes à l’arbuste qui pousse juste devant la gueule (celui des jeux de sa naissance), se gratte encore un moment – puis tout s’arrête.

19/10/25

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