Journal d’un méliphile, octobre 2025

 

Aimer, c’est s’inquiéter !

 

 

Plus que jamais les blaireaux m’échappent, s’échappent, échappent en tout cas à la routine qui voudrait qu’ils quittent le terrier au crépuscule du soir et y reviennent sagement à celui du matin. Je consigne dans mon tableur Excell les horaires de leurs couchages et découchages, tentant de déceler une logique dans l’enchaînement des événements.

Voyons. Vara et les blaireautins ont quitté le terrier le 21 juin et sont revenus s’y installer le 18 septembre, avec quelques passages furtifs et une nuit mémorable de grand nettoyage le 28 juillet (j’avais alors cru à leur grand retour). Les deux grands déménagements ont été marqués par quelques jours de relative instabilité dans les horaires et la présence :  aucun déclenchement ne s’est produit dans la nuit du 19 au 20 septembre et les blaireaux semblent avoir également découché dans la nuit du 22 au 23. J’ai d’abord interprété l’absence de données par la probable utilisation d’une entrée non surveillée, mais la multiplication des caméras m’a par la suite montré qu’ils n’utilisent a priori que les trois mêmes gueules au détriment de toutes les autres, qu’on dirait réservées à l’usage des loirs et des mulots, fort nombreux à y pénétrer. (Il faudra cependant systématiser la surveillance des entrées secondaires, y compris celles devant lesquelles les araignées ont tissé leur toile : je les soupçonne d’être de mèche, celles-ci… ou bien peut-être s’agit-il d’une espèce ultra-rapide, qui retisse sa toile entre deux passages de blaireau ?!)

Entre le 23 septembre et le 9 octobre, le temps d’activité au terrier et le nombre de déclenchements ont varié fortement (entre 8 déclenchements les 27-28/09 et 154 les 2-3/10) mais les blaireaux ont été remarquablement réguliers dans leurs heures de sortie et de retour (en moyenne, 20h-6h30) ; puis tout est devenu beaucoup plus incertain entre le 9 et le 20 octobre, avec un maximum de deux nuits consécutives de régularité (10-12/10) entrecoupées de nuits d’absence complètes ou de retours à l’aube.

Je sais maintenant avec certitude que mes blaireaux n’occupent aucun des deux terriers subsidiaires ni des quatre terriers périphériques que j’ai repérés : j’ai vu deux renards sortir hier du plus éloigné d’entre eux, le seul devant lequel je n’avais pas encore posé de caméras. J’aboutis à la conclusion que les blaireaux ne passent pas toutes leurs journées dans des terriers, mais qu’ils vadrouillent assez loin et très vraisemblablement dorment dans des abris de fortune avant de regagner leur demeure (en revenant toujours par le haut de l’esplanade, dans le prolongement d’une sente de mieux en mieux tracée à mesure que l’automne avance).

Je me heurte une fois de plus aux limites de mon amateurisme. Il faudrait faire entrer dans un modèle mathématique tous les paramètres susceptibles d’influer sur l’emploi du temps du trio : hygrométrie, température – je sais, pour l’avoir lu dans les études publiées, que ces seules données ne sont pas déterminantes, surtout pour une période où la nourriture est partout et à tout moment abondante – mais aussi la nature et la fréquence des travaux effectués (chaque moment de nettoyage et d’évacuation des déblais est suivi logiquement par une séquence d’enfouissement de litière, après quoi on peut plus librement s’en aller vadrouiller !).

Il n’est pourtant pas difficile de deviner ce qui bouleverse la belle et rassurante régularité, cet appel qui met du hasard et de l’imprévisible dans la mécanique, ce chambardement qui pousse à prendre des risques en s’aventurant au loin – puisqu’en effet on me signale partout et de plus en plus des blaireaux morts le long des routes : nous sommes entrés dans la période du petit rut automnal.

Les blaireaux, certes, peuvent s’accoupler toute l’année, mais les deux périodes principales se situent au printemps, juste après la naissance des blaireautins, et en ce moment, juste après le brame des cerfs ! Vara s’en va, elle en a l’habitude, mais Courage et Prudence – qui peut être gravide dès cette première année – également.

Ne me suis-je pas réjoui trop tôt de leur retour ? Les vacances d’automne commencent, j’attends le retour de Léo qui a pris la route de retour (mais pourquoi de nuit ?), j’ai peur pour lui, j’ai peur pour eux, et me reviennent en tête les images des renards et des hérissons écrasés qui, hier et avant-hier, ont rendu mes aller-retour à Albertville si funèbres… On me dit par ailleurs que le passage à l’heure d’hiver la semaine prochaine entraînera mécaniquement une augmentation de la mortalité routière (je parle de celle des non-humains, de ceux qu’on ne voit pas, qu’on ne compte pas, qui ne comptent pas…).

Aimer, c’est spéculer, et s’inquiéter !

19/10/25

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