Vigie, décembre 2014

 

 

 

 

LE PRINTEMPS EN DÉCEMBRE

 

 

Il pleut à la fenêtre, mollement, suavement, sans relâche et pourtant sans insistance il pleut. Il pleut sur le jardin noir, sur la forêt penchée, sur l’arête courbe du toit il pleut. Cette pluie-là enveloppe sans mouiller et l’on dirait une caresse – comme si le ciel du bout de ses doigts de pluie effleurait la maison, qui lui répond avec cette sorte de ronronnement qui n’apaise pas mais incite à l’abandon.

Renverse-toi en arrière sur ton fauteuil de futur malade, et tâche au moins de savourer. Ce qui fume dans ta tasse c’est le thé de l’absence. Ce qui crépite à la fenêtre c’est la voix de l’absente. Ce qui sourit à la fenêtre…

À la fenêtre rien ne sourit. Ciel gris sans rien, sans marque, sans signe, sans rien d’autre que la pluie invisible. Le silence. Les nuages.

Drôle de pluie. Étrange hiver qui n’ensevelit pas, qui ne mord pas, qui ne pique pas mais caresse mollement, suavement, sans insistance ni relâche.

 

*

 

L’autre jour, comme je redescendais une fois de plus la route de la vallée en soliloquant, j’ai été saisi par une sensation de nouveauté et de douceur qui m’a étonné et presque choqué. J’ai tenté d’en rendre compte, et ne me suis avisé qu’après coup de la banalité de ce que j’avais ressenti comme pour la première fois : le printemps en décembre.

Chaque année je fais à peu près la même remarque à propos de décembre, dont j’ai si souvent loué le caractère paradoxalement printanier (je me souviens de mes premiers étonnements enfantins devant ces primevères qui poussaient dans le verger de la maison familiale, et parfois même s’épanouissaient en fleurs trop précoces que le givre et la neige bientôt brûlaient). Cet hiver a beau être le plus tiède que j’aie connu, il n’échappe pas à cette poussée-là.

Ce qu’on sent c’est la vie qui circule quand même malgré la sève arrêtée, la musique sous le silence, la pulsation des soupirs. Ce n’est pas indécent. C’est un pied de nez à la mort, une manière de dire que l’hiver n’est pas la mort, que la mort même n’est pas ce qu’on en dit, ce qu’on en croit puisqu’on est encore là pour dire ou croire quelque chose.

Renverse-toi en arrière sur ton fauteuil d’ancien malade. Tu peux mettre le casque, te détourner de la pluie à la fenêtre et, comme quand tu avais quatorze ans va, vieil adolescent pas bien vaillant, ni vigoureux, ni courageux devant la vie et même plutôt défait d’avance, écouter la dernière prière insolente de ce poète du rock dont les guitares électriques et les paroles pompeusement alambiquées t’arrachaient à tes violons, à ta torpeur, à ton silence, et faisait pulser à tes tempes le printemps en hiver…

 

« Et je m’en vais ce soir, paisible et silencieux… »

(H.F. Thiéfaine, « Angélus ».)

 

 16 décembre 2014 

 

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