Vigie, décembre 2014

 

 

 

UN SOIR EN HIVER

 

 

Aux dernières heures d’un soir d’hiver ordinaire, père et fils se sont réfugiés dans le bureau de sous les combles dont on aperçoit depuis la forêt les couleurs et les lueurs comme les veilleuses d’un temple. Plongé dans les livres que son père lisait lorsqu’il était enfant, l’enfant lit : c’est façon de prolonger le jour, page après page, ligne après ligne. Il faut être tenace, et patient comme peut l’être le méditant assis des heures durant sur son coussin, qui n’attend rien, et qui respire…

Toute la matinée j’ai joué de l’accordéon ainsi, sans en attendre rien, assez humblement je crois, et consciencieusement. Il est peu probable que je devienne jamais musicien. Je n’ai pas d’autre ambition que d’arriver à jouer de mon mieux les morceaux du moment, et de tenir ma place dans l’orchestre. Mais note après note, jour après jour se déploie quand même à travers moi la musique, construction fragile, précieuse, mystérieuse.

À midi les habitants du Villard se sont retrouvés sous le hangar de Danièle et Robert pour le traditionnel vin chaud. Il était bon et doux de deviser entre voisins, entre amis, pendant que les enfants couraient dans la lumière d’hiver. Tous ces gens rassemblés bientôt se disperseront, laisseront place à d’autres. Mais jour après jour, année après année, nous aurons quand même laissé se déployer la fraternité, l’amitié, la concorde, construction fragile, précieuse et même mystérieuse en ce monde où tout cela semble si rare…    

Le soir venu j’écris pendant que Léo lit. Je travaille à ce site devenu, au même titre que le carnet ou l’accordéon, un instrument. J’accumule ces fragments insignifiants et, patiemment, souterrainement, tente de laisser se déployer la parole nécessaire, construction fragile…

C’est à ce prix que je peux, quand l’enfant est parti se coucher, quand le sablier s’est vidé et que les yeux me brûlent, éteindre une à une les lampes de mon temple et accepter de plonger à mon tour dans le noir.

 

20 décembre 2014 

 

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