Route, juin 2015

  

 

L’INSOUCIANCE EN ÉTÉ

 

 

Un lézard se réchauffe sur le mur ensoleillé du hangar. En contrebas les jeunes saules pleins de vigueur ont refermé plus sûrement que la glace en hiver la mare du Villard.

La route début juin : on roule fenêtres ouvertes, il y a du relâchement et presque de l’insouciance dans l’air, moins de tension, de hauts nuages, des herbes folles, du vent dans les cheveux et du flou dans le champ. Quelque chose de caché aussi, à cause des feuillages qui font qu’on voit moins les oiseaux − sauf, au détour d’un virage dans le sous-bois, cette grosse buse qui fait plier la branche et me regarde passer, ou les merles kamikaze qui traversent en rasant la route… 

On roule lentement à cause des chevreuils et des renards (les jeunes ne connaissent pas encore les dangers de la route) qui peuvent à tout moment surgir des hautes herbes. À Presle les cerises rougissent (qu’on mangera ce soir, au retour, parce que le don des cerisiers incite aussi certains heureux propriétaires de verger au partage !). 

Regardant les roses rouges de Presle je grille malencontreusement une priorité (traitresse, il est vrai, et où il n’y a, mais ça n’excuse rien, en général personne). J’imagine d’ici la conversation avec l’automobiliste qui aurait pu me percuter : c’était à cause des roses…

Des fleurs blanches des frênes ne restent que des bouquets brûlés, mais les noyers aux feuilles brillantes ne manquent pas d’allure.

Slalomant sur la place d’Arvillard, je prends des nouvelles des travaux et note que la réfection du toit d’en face a bien avancé ; puis un camion arrêté en plein virage me rappelle à la prudence. 

J’avais déjà noté, à cette même heure matinale, la très belle lumière qui passe quand il fait beau à travers les arbres jusqu’au pied de ce grand sapin ; je la retrouve avec reconnaissance, je m’y tapis un instant en rêve, je reste assis là dans la mousse pendant que mon double mécanique continue seul la route.

Je me rattrape un peu plus loin au niveau du cimetière, et frôle de peu l’accident (c’est le jour) parce qu’un crétin a doublé sans aucune précaution un engin d’élagage (dont le conducteur me fait un signe de compassion qu’on pourrait interpréter ainsi : « Complètement timbré, n’est-ce pas, et vous avez eu chaud ! »). Sous la violence de l’arrêt la valise de cours est tombée et s’est ouverte, répandant au sol tout un fatras d’objets hétéroclites tels qu’un bol chantant tibétain et son coussin, une dizaine de stylos, un triangle, un gros dé rouge et or… 

Je repars à travers les prés, mes velléités d’insouciance estivale quand même bien entamées.

 

1er juin 2015

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