BLEU LIVIDE
Ciel d’été bleu livide, violet pâlot des iris épanouis. Entre l’espace et nous autres terriens, plus un nuage pour faire écran, seulement cette mince couche de couleur sans éclat minée d’une sorte de gris rentré. Dans le couvert de la forêt je suis plus à mon aise.
Au long des champs et des jardins la guerre de l’herbe a recommencé : partout tondeuses et débroussailleuses sont en action. Le bétail aussi rase l’herbe pour en faire matière utile à l’homme, mais de façon apparemment moins brutale (si l’on fait hypocritement abstraction du sort qu’on lui réserve dans nos abattoirs industriels, évidemment).
Sur la petite route de la Vallée des Huiles les tracteurs ralentissent la course des voitures. Celui que je suis voudrait que je le dépasse, mais j’aime beaucoup rouler très lentement en regardant danser les scabieuses.
Au-dessus de Presle on a fauché le grand pré aux cerfs. On croque des yeux en passant les cerises d’un rouge étincelant.
Salut à toi, belle tarine aux yeux noirs de mon enfance ; salut à vous les martinets, tellement à l’aise dans ce ciel sans obstacle qui est votre élément ; salut les roses et les grands troncs nus du ravin.
À Arvillard on est en train de refaire, outre un toit et deux maisons, la signalisation au sol : à l’échelle du scribouillard de route que je suis, un stop repeint à neuf est un événement…
Une corneille se pose très élégamment sur la ligne à haute tension, faisant avec ses ailes un moulinet arrière très digne ; quelques mètres plus loin une autre corneille refait exactement la même chorégraphie.
Je suis la route, la route de l’été, qui comme toutes les routes ne mène à rien de bon mais est belle en elle-même. Je longe les talus rasés et le petit cimetière de la Chapelle du Bard. Rouge éclatant des roses sur cette façade blanche. Le bourg d’Allevard comme un chat au soleil. Le ciel bleu gris sans obstacle, et les coquelicots parmi les herbes folles.
3 juin 2015
