Vigie, octobre 2016

 

 

 

LE GIVRE, L’INTERMITTENCE

 

Vigieoctobre2016intermittence 

 

Si le froid, cette année, vient plus vite, c’est peut-être parce qu’on n’a pas été assez attentif ? On n’a pas vu venir parce qu’on n’a pas regardé…

 

*

 

Au matin, naturellement distrait, je reste les yeux tournés vers le souvenir de ce rêve où, attaché sur un lit, je me faisais paisiblement poignarder par une procession d’inconnus face à une caméra et dans une mise en scène digne des exécutions de Daesh (mais les chœurs qui évoquaient « the day of execution » venaient de Bowie). Lorsque, passées les premières égratignures, l’issue devenait fatale, je m’écriai quelque chose comme : « Adieu ma chérie, prends soin des enfants, fais bien ton accordéon mon grand, et toi mon petit comme je regrette de ne pas savoir quel instrument tu auras finalement choisi, mais quel qu’il soit je souhaite qu’il t’accompagne fidèlement en mon absence, et que surtout la haine ne vous atteigne pas car dites-vous bien que ceux qui ont fait ça à votre papa sont des malades, et qu’ils sont plus à plaindre qu’à haïr… »

L’esprit encore confus, je tire le store de la fenêtre de toit sans même un regard sur la nuit, sur la lune, sur tout cela dont je prendrais conscience que je ne peux pas le voir si je prenais la peine de regarder. Ce n’est qu’un peu plus tard que, tirant cette fois le rideau, je découvre que tout est blanc.

Les toits du village tout blancs de givre.

Les cheveux grisonnants de l’herbe saisie par le givre.

Les chevaux, les corneilles dans le givre.

Les kiwis et les coings qu’on hésitait hier à ramasser et qui seront gâtés.

Le givre, le givre qui fait s’exclamer à Clément qu’il a neigé, papa, il a neigé !

On regarde les cheminées du village, les champs blancs, le ciel pâle, et l’intensité de cet instant passé à la fenêtre donne plus que jamais l’impression de vivre de façon discontinue, sans d’ailleurs que cela soit tragique ni même gênant. On s’est laissé surprendre et ce n’est pas si mal. C’est même bien agréable de se laisser surprendre, de ne pas s’y attendre − et d’ailleurs, pour être tout à fait mensonger ou sincère, tous ces jours sans rien dire de ce qui se passait dehors, ce n’était pas par distraction mais par stratégie.

Je ferme les yeux, je mets même les mains devant mes paupières, je laisse filer ma vie, je m’absente, je me réfugie dans mon terrier de cauchemars ou de rêves, et puis soudain voici le givre, voici un petit fragment de vérité vive qui apparaît comme dégagée de la glace, nue, froide et belle, quelques paroles dans le silence, – et la prochaine fois ce sera peut-être le printemps, l’automne, l’été…

 

Le temps de griffonner à la hâte ces lignes et le givre a déjà presque disparu.

 

12 octobre 2016

 

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