Vigie, octobre 2016

 

 

 

LES COULEMELLES

 

Vigieoctobre2016coulemelles

 

 

Pressé par le temps et ne pouvant de cet octobre flamboyant retenir la moindre flammèche, il me faut me contenter de quelques cendres alignées sur le carnet, ainsi que de ces images arrachées au petit autodafé quotidien de l’oubli – pour mémoire, donc, parce que je me suis dit, en regardant ceci, qu’il y avait matière à poème, que c’était important, que cela me parlait.

 

*

 

Octobre flambe, le temps coule, les souvenirs s’emmêlent et je repars arpenter les prés avec Clément comme je le faisais auparavant avec Léo, ou encore il y a plus longtemps avec mon père et ma mère – et je m’enthousiasmais alors comme le fait mon fils devant la taille extraordinaire des coulemelles (je dois avoir dans mes archives une photo, prise dans l’entrée de l’appartement chambérien, de moi à son âge, jeune roi portant le sceptre de la plus grande coulemelle).

J’aime toutes les cueillettes, écho peut-être de notre passé commun de nomades cueilleurs autant que des souvenirs d’enfance : celle des châtaignes dont on revient avec les doigts pleins d’épines (et l’épluchage qui s’ensuit n’arrange rien, dont on se souvient longtemps) ; celle de pommes, des coings, des kiwis ; celle des trompettes de la mort, que j’ai évoquée assez souvent et sur laquelle il faudra revenir (mais il n’y a pas de bons coins dans les bois qui jouxtent la maison et je ne suis plus retourné dans cette forêt du Carrel où nous allions du temps du vivant de ma mère).

Chacune a cependant sa tonalité propre – et celle des coulemelles est indubitablement (avec celle des rosées des prés qu’on ne trouve pas à notre altitude) la plus dégagée, la plus aérienne, la plus heureuse. On marche à grands pas à travers les champs sans obstacles, repérant de loin les larges chapeaux blancs qui brillent au soleil de face et les « baguettes de tambour » que Clément fait tourner avec soin pour les extraire sans emporter le pied (on laisse derrière nous une armée de champignons sans têtes).

Odeurs de terre et de feuilles sèches.

Le cri d’une buse dans le ciel bleu pâle.

Le fouillis des hêtres qui donne le vertige.

Belledonne qui protège.

Le parfum fort, presque musqué, proche de celui de la viande que je ne mange plus depuis des années mais que j’aime quand même, des coulemelles.

Clément qui court d’une balise à l’autre, puis prend la pose derrière le panier plein.

Un vrai bonheur.

 

*

 

La première fois que je suis venu ici (novembre 2007), c’est cela que j’ai aimé : ces prés sans clôtures et en pentes douces (« La Table » désigne, en montagne, un petit espace relativement plat), ces sensations de forêts et d’alpages qui m’ont donné, qui me donnent encore l’impression que je suis là chez moi – à La Table, puis assis face à ma table au retour de la cueillette des coulemelles.

 

25 octobre 2016

 

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