Vigie, décembre 2020

 

 

 

Réveillon solitaire

 

 

decembre2020fin

 

 

C’est le plus agréable réveillon autistique qu’il m’ait jamais été donné de vivre. Tout, ce soir, rassure, et la solitude même n’a rien de paniquant parce qu’elle est bien peuplée.

 

Il y a la neige, d’abord, qui s’est remise à tomber précisément la nuit de Noël et qui tombe encore en cette dernière nuit de l’année. La neige à Noël rassure, non seulement parce qu’elle atténue les bruits, renforce l’isolation du toit, embellit la plus laide des clôtures, mais surtout parce qu’on peut oublier un peu cette année grâce à elle le dérèglement climatique en cours. Qu’il neige à Noël à notre altitude en montagne est normal, et cette normalité fait un bien fou.

 

Il y a les chats, ensuite, qui ont aussitôt profité de l’aubaine pour venir ronronner contre moi, et nous ronronnons béatement tous ensemble (nous autres félins sommes de faux indépendants, au fond assez grégaires – pourvu qu’on nous laisse tranquilles).

 

Il y a les amis aussi qui sont passés ces derniers jours, malgré la crise, pour les saluts rituels : Marie-Hélène et Christophe, avec qui on a pu dire notre commune peine devant le traitement infligé au spectacle vivant et au monde de la culture renvoyés dans les limbes du « non-essentiel » (alors que c’est la base même de toute vie humaine !), avec Swann leur petite merveille de trois ans qui a, cette année, réussi à jouer plusieurs notes au saxophone et fait des bonhommes de neige dans le champ ; il y a l’ami Franck au regard plus pétillant que jamais et porté à présent par l’amour de sa belle Italienne – et on imagine ainsi dans un futur accessible une maison en Toscane, qui sait, une visite commune à Padoue, d’autres moments de partage dans un monde agrandi…

 

Il y a les amis qui ne sont pas passés, mais qui sont là quand même dans la tête et le cœur, il y a Victor et Anne qui ont dîné tout seuls aussi mais dont j’ai vu l’image sur l’écran du smartphone. Il y a Nathalie, qui passe auprès d’Éric un moment heureux (et je peux maintenant me réjouir sans nuance et sans ombre de leur bonheur), et puis les enfants qui passent aussi (dans ces deux maisons voisines et amies que je pourrais voir depuis la fenêtre du toit s’il ne neigeait pas tant) le plus agréable des réveillons. Il y a encore tous ceux qui ne sont pas là, qui ne sont plus là, mais qui forment alentour un cercle de fantômes bienveillants…

 

Mais la neige, les chats, les amis, les parents, les enfants – toutes ces présences ne suffiraient pas à contrebalancer la force négative de l’absence s’il n’y avait, posée quelque part dans le paysage, ma petite grive d’en face, que je salue d’un signe… Décidément, me dis-je (mais je n’en étais pas si convaincu naguère), « sans amour on n’est rien du tout » ; et la voix de Catherine (Ribeiro, chantant Piaf) de conclure d’un magistral : 

« AIMEZ-VOUS ! »

 

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

 

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