Vigie, décembre 2020

 

 

 

 

En bas, en haut

 

 

 decembre2020 05

 

 

En bas la plaine est plongée dans un brouillard épais qu’on imagine étouffant. Le jour ne se lève pas et chacun cherche son chemin en suivant les bandes blanches et les veilleuses allumées le long de la route. Les maçons ont les doigts gelés, le paysan peine à enfoncer les piquets dans le sol dur et les corneilles croassent d’une voix plus rauque encore que d’ordinaire.

 

En haut, la neige au soleil rouvre des perspectives éblouissantes. « Regarde, dit l’enfant, on voit même la crête et les toits en face tant les arbres se sont tassés ! » Un petit âne gris se promène dans le village, délivré de son enclos par le poids de la neige qui l’a mis à terre. Le rouge et jaune des becs-croisés dans le poirier ressort bien mieux avec ce liseré blanc qui les entoure. On entend depuis le Pic de l’Huile la clameur des enfants qui ont ressorti leurs luges ; puis ils rentrent avec les joues rougies et posent sur les radiateurs ou devant le poêle leurs bottes fumantes en laissant derrière eux une traînée de neige fondue.

 

On voudrait ne jamais vivre que dans cette lumière de l’hiver en montagne, oublier la vallée, la grisaille et tout ce qui un jour arrache l’enfant à son enfance, l’homme heureux à son bonheur. Rêve réalisable, autant qu’égoïste sans doute : je sais bien qu’il y a en ce moment des gens qui piétinent dans le brouillard, je pense fort à eux – peut-être pour me donner bonne conscience – tout en savourant cette lumière d’en haut.

 

Je me promène en imagination sur le sentier des crêtes et je sens tout mon corps traversé par une folle envie de courir dans la neige.

 

 

Ce contenu a été publié dans 2020. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.