Vigie, mai 2021

 

 

 

À travers champs

 

 

Vigiemai2021 02

 

 

À sept heures le grand chien nonchalant du soleil commence à laper le givre sur les prés, croquant ici un bouquet de jonquilles, là un prunier en fleurs. Les enfants reprennent le chemin de l’école qu’ils avaient oublié. Comme au sortir d’une longue maladie, les choses les plus ordinaires se nimbent d’un halo de beauté énigmatique que l’on perçoit un instant, au détour du chemin, à travers cette image de jonquilles éclairées par le soleil, puis que l’on perd. On s’applique alors à en prolonger par des phrases l’impression fugace, on tente de la cerner, de s’en rapprocher, parce qu’on refuse ce voile de confusion que le silence jette sur le monde, mais on sent qu’on s’éloigne pourtant de ce qui nous a touché et que ce qu’il faudrait faire au fond, c’est tout lâcher, même ces histoires de silences ou de paroles, pour aller chercher à quatre pattes parmi les herbes les petites lueurs des fleurs, des insectes et de l’enfance.

On repart à travers les champs bientôt dégagés. Herbes hautes, clameur des insectes sur lesquels Rimski bondit comme un chat un peu lourd sur une souris invisible – car à chaque fois je m’étonne de ne lui trouver aucune proie dans la gueule. À notre arrivée dans le grand champ des Landaz, le renard est là, toujours le même. Il ne réagit pas, car nous avançons sans faire de bruit et à contre-vent. Je le regarde fouiner dans l’herbe tout comme le faisait à l’instant Rimski, qui ne l’a pas non plus repéré (ma position en hauteur fait de moi la vigie de notre navire). Puis le renard prend conscience de la présence du bipède et du grand chien blanc à vingt mètres de lui, et détale, mais sans manifester une panique excessive car il se retourne souvent et s’arrête en lisière avant de disparaître. Rimski fait peu cas de lui, tout occupé à gratter le sol, à la recherche de je ne sais quel animal creuseur de galeries.

Je m’assois dans l’herbe tiède, je pose ma tête contre lui et respire avec lui l’odeur de la terre. Soudain il part en courant et va gratter quelques mètres plus loin : je suppose qu’il doit y avoir là-dessous tout une vie grouillante que le renard et mon chien perçoivent. Moi, je n’ai rien à chercher d’aussi affriolant, rien qui donne une telle envie de creuser. Je regarde simplement un tout petit papillon bleu se poser sur ma main, et tente vainement d’apercevoir le grillon que l’on entend chanter.

 

 

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