Vigie, mai 2021

 

 

 

Les rencontres

 

 

Vigiemai2021 03

 

 

Les premiers rayons du soleil sur la rosée font dans les champs comme une nouvelle neige, et l’on traverse un espace tout neuf. Sur le flanc sombre de Belledonne, le soleil qui vient juste de poindre au dessus du Grand Chat allume des rangées discontinues de feuillus vert tendre. Même les vieux châtaigniers, qui n’ont pas encore leurs feuilles, semblent rajeunir. On trace tous les deux, le chien et moi, deux lignes discrètes qui s’effaceront bientôt dans le paysage. Le soleil frappe l’alignement des ruches à main droite, sur la lisière, ranimant des souvenirs, et l’on voit aussi comme en écho à ces mêmes souvenirs un parapente déjà haut dans le ciel lavé par plusieurs jours de grosses averses (comme je ne griffonne mes notes que pendant les éclaircies, leur lecture pourrait donner l’illusion d’un éternel beau temps, ou bien que le seul fait d’écrire suffit à susciter le soleil, mais la vérité est que ce printemps est excessivement pluvieux).

Les vaches, à présent, occupent le champ au renard, et l’on entend leurs clarines résonner loin dans la combe. Rimski s’approche d’elles, qui s’approchent de lui. Les voici museau contre museau, puis l’une d’elles baisse la tête d’un air menaçant et l’envoie rouler contre le fil électrique mon pauvre chien, qui pousse un hurlement. La décharge, heureusement peu puissante, le saisit d’autant plus qu’il n’a compris d’où venait l’attaque. Il poursuit la promenade à travers les bois en se serrant contre ma jambe (ainsi qu’il le fera désormais dès que nous croiserons des vaches). Un petit écureuil noir grimpe dans un arbre à notre approche et, fidèle à sa stratégie de disparition, se glisse derrière le tronc ; on pourrait croire qu’il est resté au même endroit, mais lorsqu’on regarde de l’autre côté il saute déjà bien loin et bien haut, comme un saïmiri. Au même moment trois ou quatre chevreuils détalent à quelques mètres de nous. Rimski aime beaucoup les regarder faire de grands bonds sous son nez, mais ce qu’il aimerait plus que tout serait évidemment de leur courir après ; il regarde les chevreuils disparaître non pas avec regret ni envie mais, c’est le mot qui m’est venu en tête, avec une sorte d’immense nostalgie.

 

 

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