Vigie, mai 2023

 

 

Ça ira

 

 

Tant qu’il y aura des phalènes sur les scabieuses

et du vent dans tes cheveux

tant qu’il y aura des abeilles à la ruche

et des vaches endormies sous les chênes

tant que le torrent grondera

ogre affamé d’orage et de neige

tant que du terreau d’avril

se lèveront les fougères de mai

tant qu’on laissera téter

le veau frêle ignorant l’abattoir

tant que les hirondelles reviendront

tant que resteront ouverts

les volets de ta maison

tant que je pourrai suivre

la queue en panache de mon chien blanc

tant que je continuerai à tout perdre

à me perdre

dans les âges et les lieux

pour me retrouver dans les mots,

tant que je trouverai à dire

et redire

pas plus lassé de la répétition

que l’assoiffé ne se lasse de boire,

tant qu’on trouvera

des réserves de fraîcheur

au fond du ravin,

tant que la marte sera au rendez-vous

juste avant le grand pin en travers du torrent,

tant que j’oublierais tout

mais pas le coin des morilles,

tant que je garderai en tête

l’idée que la passerelle ne mène nulle part ailleurs

qu’à l’autre monde

où la voix des morts

vibre encore,

tant qu’on s’y tiendra

tant que tout tiendra

ça ira.

 

05/05/23

 

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