Prologue ferroviaire

Salut à toi, vieux désir en allé d’en allers pleins d’allant que je retrouve sitôt lové dans le cocon du train ! Ça grésille dans la tête et la carlingue « transperceuse de temps », ça sent le mauvais café et le croissant rance, mais le violet des sièges apaise et déjà la fatigue s’est évanouie. Un jeune homme en colère traverse la voiture en pestant au téléphone contre « la campagne et ses bruits d’oiseaux ». Une femme aux cheveux roses s’apprête, casque et écran bien en place, à partir pour un autre voyage dans le voyage. Une jeune fille asiatique s’assoit sur le siège avant gauche et une forte odeur de vanille envahit l’espace intérieur. De la dame africaine en ample tenue froissée ornée de motifs géométriques vert d’eau sur fond blanc, je vois surtout les baskets pailletées dorées à très hautes semelles blanches, dont elle se défait nonchalamment, c’est vrai qu’on est bien mieux pieds nus…
Puis l’on file, aspiré par l’arrière (puisqu’assis dans le sens contraire de la marche) dans un décor banal de buddleias, de bouillons blancs, de bulles et de bouddhas dorés, laissant là les chantiers aux grandes grues et la chaîne de l’Épine. Le grésillement de l’attente cède la place au souffle continu du train et au monologue de la femme africaine dont la langue inconnue me transporte des années en arrière, des kilomètres en avant, jusque dans l’avion Cayenne-Maripasoula où j’entendis naguère pour la première fois parler la langue du fleuve… Le soleil se lève sur la Chartreuse et puis, l’instant d’après (il y a dû y avoir une ellipse solaire) il inonde la campagne rase de sa lumière blanche. Un canard s’envole sur un petit lac sombre au bord duquel campent des pêcheurs (ou pêchent des campeurs), peu avant La Tour du Pin…
La floraison des châtaigniers explose dans le ciel d’été, mais ce vert et blanc des rêves végétaux, il va falloir l’abandonner bientôt au profit de la ville minérale vers laquelle je reviens, avec cette fois en tête une promenade dans les pas de Réda et Les ruines de Paris pour unique bagage. Bientôt, bien vite, je délaisse le carnet et le train au profit d’une énième relecture du livre…


