Vigie, août 2024

 

 Un autre chemin

 

 

Ce parasite en nous qui croit rester au bord du torrent, étranger au flux qui tout emporte, décompose et finalement recompose et ramène au point de départ en un ressassement infini, mécanique, aléatoire et sans intention, ce parasite qui, parce qu’il s’est fabriqué un fourreau d’illusions derrière lequel les fluctuations de l’espace et les vibrations du temps l’atteignent si peu qu’il ressemble à ces poissons dipneustes (Ceratodontimorpha) capables de vivre enterrés des années durant en ne se nourrissant lentement que d’eux-mêmes, ce parasite pourtant sera lui aussi, d’une façon ou d’une autre, emporté.

Qu’est-ce qui va surgir au bout de ce sentier traversé de jeunes ronces vert souple qui griffent les mollets et bordé de deux rangées d’impatientes en fleurs plus hautes qu’un homme debout et dont l’odeur prodigieuse fait divaguer les bourdons et vaciller le soleil ? Qu’est-ce qui va surgir ? Qu’est-ce qu’on guette ?

Toutes les pensées sont de peu de poids, toutes les attentes et toutes les paroles vaines, et la marche aussi, les perceptions accumulées, réitérées, fixées en partie dans la mémoire ou les mots, sont vaines aussi, si elles n’éclairent pas, si elles ne lèvent pas ne serait-ce qu’un instant le suaire qui recouvre notre réalité, si elles ne rendent pas à l’instant, ne serait-ce qu’un instant, sa grâce et son intensité, si elles n’éclairent pas enfin le chemin comme le soleil soudain éclaire le sous-bois qui alors s’illumine de traits puis de flaques acajou – et l’on devine alors dans les replis de l’ombre, à quelques encablures du chemin qu’on suivait, un autre chemin.

08/08/24

 

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