Vigie, octobre 2024

 

Fouillons encore

 

 

Hier soir le cerf a bramé si fort que les chiens ont hurlé comme des loups. Au matin je m’empresse d’aller relever le piège photographique : nulle biche et aucun cerf n’y a laissé son image, car si j’ai bien réglé le capteur sur 30 mètres j’ai oublié de faire de même pour l’éclairage infrarouge. Un renard pourtant qui passait tout près a déclenché la caméra. On le voit réagir, se tourner vers cet appareil inconnu dont il a dû percevoir le déclenchement, s’avancer puis se détourner avec indifférence. C’est un beau mâle à la queue bien touffue, que je regarde un moment avant de repartir en promenade.

Il fait un temps d’été indien, très doux, sans un nuage dans le ciel bleu pur. On entend au loin une tronçonneuse et puis, soudain, le fracas d’une chute d’arbre, d’un grand arbre manifestement. Les châtaigniers de plus en plus dénudés laissent voir les fruits multicolores des passereaux, mésanges bleues, charbonnières, huppées, à longue queue, et puis un grimpereau, un roitelet huppé… Rimski mange en passant un peu de bouse fraîche (le dégoût pour les excréments est un préjugé de primates), puis on s’engage dans le sous-bois parsemé de pieds de mouton que je ne ramasse pas, à cause de la dernière cueillette qui fut prodigieuse.

Je laisse aux chiens, c’est-à-dire en vérité aux chevreuils, l’initiative de l’itinéraire, et remonte tant bien que mal la pente raide jonchée de bogues et de feuilles. Des dizaines et peut-être même des centaines de petits moucherons inconnus font du yo-yo dans les faisceaux du soleil. Une tronçonneuse gémit encore quelque part, qui couvre l’autre gémissement inaudible de l’arbre qu’elle entame. On s’assoit tous les trois et l’on passe au radar de nos sens le ravin…

Longue attente. Deux chevreuils finalement s’approchent en faisant grand bruit dans les feuilles, puis se détournent. Passe un pivert, des geais, toutes sortes de passereaux, et passe le temps. Quand on repart le soleil est déjà si bas ! Le vent catabatique se lève. Maintenant toute la vallée est dans l’ombre, il n’y a plus que les crêtes du Grand Chat sur lesquelles hier encore je cavalais, et tout au loin le triangle du Grand Arc, qui restent dans la lumière pour peu de temps.

On s’attarde dans la partie encore éclairée du grand champ colonisé par les champignons pieuvres australiens qui se mêlent aux coulemelles. On passe au pied du grand merisier où le souvenir d’un cerf-volant d’enfant est resté accroché. Je ramasse la bille joliment colorée de vert jaune et de pourpre d’une galle, fruit de la tromperie chimique exercée sur le chêne par quelque guêpe minuscule et maligne… Au loin apparait la silhouette hésitante de la voisine qui promène son petit chien et songe, elle aussi, que le temps a passé, de façon bien plus dramatique songe peut-être à son fils qui est mort, à la maladie ou à plus rien…

Rimski et Nouchka, eux, songent encore aux chevreuils, désireux de rien d’autre que ce qu’ils ont. Allez, fouillons encore un peu parmi les feuilles et les ombres, en quête de couleurs, d’odeurs et de lumière…

29/10/24

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