Vigie, octobre 2024

 

Sur la piste des éléphants

 

 

Temps gris, frissons lents et continus des frênes. Le soleil perce les nuages juste au-dessus de la crête du Grand Chat. Un geai traverse au-dessus de la gouille, et l’on entend au loin le cri en pointillés d’une tourterelle. Cri d’une corneille encore. Odeur forte des bouses fraîches.

J’ai eu ce matin un peu de mal à m’arracher au livre que je lisais, qui relate le suivi des éléphants en Namibie. Repartant flâner sur mon chemin ordinaire, j’en reste aussi imprégné que s’il s’agissait de souvenirs personnels. Certes, je ne risque pas ici de croiser le grand mamba noir. Tout semble sous contrôle, et hormis l’homme le seul animal potentiellement dangereux, en vérité seulement pour les moutons, vit caché sur les hauteurs. Les incursions d’éléphants sont rares dans la vallée des Huiles, et pour ce qui est des rassemblements spectaculaires de grands herbivores, on s’étonne et on s’émerveille déjà de croiser ici ou là quelques cervidés.

Pourtant, ce matin, je descends voir le Gelon comme on va voir un éléphant qu’on a quitté la veille fou furieux et dont on vient prendre des nouvelles. Je défends ma place en tête de meute comme un éléphant dominant défend la sienne, pour boire, pour voir en premier : Rimski veut me dépasser, je barrie, il comprend et se replace derrière moi sans même quémander de friandise. Puis les chiens s’affairent dans le crottin et les bouses, prélevant à leur façon toute sortes de précieuses informations pour, je suppose, une étude à venir… En contrebas on répare les dégâts occasionnés par la crue du torrent, qui a fait tomber quelques arbres et endommagé un muret semble-t-il, et qui file par ses deux canaux, à toute vitesse dans celui qu’on a bétonné, plus lentement dans son lit naturel. Le calme est à peine revenu. Ça bouillonne, ça écume, moins odorant qu’un éléphant mais pas moins furieux.

Ainsi je suis la piste des éléphants, je veux dire ce chemin tracé peut-être naguère par des ours et toutes sortes de fauves, emprunté aujourd’hui par les chevreuils, les sangliers, l’humain et ses chiens, et le torrent qui déborde. Le monde aujourd’hui est un gros éléphant pas forcément placide, mais qui fait le dos rond, rochers gris dans l’écume, et qui lui-même écume.

12/10/24

 

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