Vigie, décembre 2024

 

Les chevreuils préfèrent la fuite !

 

 

Pendant dix ans la musique m’a permis de faire un allié du temps qui passe. De jour en jour je voyais les morceaux prendre forme, je savais que quelque chose était en train de se construire. Désormais je ne musique plus, mais je marche et j’observe davantage.

Ce qui m’anime aujourd’hui est aussi ce qui anime les chiens : je me demande si les trois chevreuils seront au rendez-vous. Pour tenter de vérifier cette hypothèse tout de même hasardeuse d’un acte de curiosité volontaire de leur part vis-à-vis des chiens, puisque j’ai eu le sentiment qu’ils étaient bel et bien venus à leur rencontre quand ils avaient aboyé, j’ai disposé le piège photographique dans le petit bois où nous nous retrouvons. Si je les vois se diriger vers le bas du pré quand nous nous approchons et que les chiens les appellent, je saurai qu’ils n’ont vraiment pas peur mais réagissent comme le font les vaches, les chèvres ou parfois les moutons. Notre rencontre prolongée d’hier m’a troublé. Après tout, peut-être la chevrette avait-elle trop peur pour s’enfuir, jusqu’à ce que le brocard la sorte de cette espèce de paralysie d’animal terrorisé ? Cela semble toutefois incompatible avec le fait que les chevrillards continuaient à brouter et même à jouer, et comment expliquer autrement que par une forme de curiosité à notre égard le fait que la chevrette soit revenue une dernière fois vers nous avant de s’enfuir ?

L’enjeu pour moi n’est pas sentimental, et je n’ai bien évidemment pas l’intention de pousser plus loin le rapprochement en imprégnant ces chevreuils de notre présence. Ce qui me plaît, c’est d’une part de comprendre leur comportement, d’autre part d’être capable d’individualiser ceux-là qui, jusqu’à peu, n’étaient que des silhouettes, de connaître ainsi mes voisins, façon non pas de m’approprier le lieu mais de densifier la relation. À présent, quand je regarde depuis mon bureau vers le petit bois à l’orée du grand champ, je sais que c’est le domaine de Rig et Veda, les blaireaux pas si endormis (j’ai relevé de nombreuses empreintes), et celui de ces quatre chevreuils auxquels je n’ai pas encore donné de noms car je ne suis pas certain de pouvoir les reconnaître.

Tout cela est aussi une excellente façon d’apprivoiser le temps.

Nous voici sur les lieux… Les chiens aboient. Nul chevreuil ne se montre. J’attends un moment, puis relève le piège photographique. On voit la chevrette qui ouvre la marche, suivie de son chevrillard. Quand les aboiements retentissent, le chevrillard s’immobilise dans le champ de la caméra, dresse les oreilles, visiblement très intéressé. Sa mère alors, fait demi-tour et disparait en deux bonds vers les hauteurs du bois. Le petit aussitôt la suit. La sentence est sans appel : les chevreuils préfèrent éviter la rencontre, même s’ils se laissent approcher et semblent ne plus se soucier de nous dès lors qu’on ne bouge plus.

Je repars sur l’herbe molle du grand champ (elle était ce matin toute scintillante de givre, une féerie). Deux grives draines traversent, le geai claironne notre arrivée et la lumière inonde la combe. On s’assoit au soleil. Les chiens choisissent chacun un morceau de bois qu’ils s’appliquent à consciencieusement mastiquer. Je ferme les yeux…

16/12/24

 

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