Rêvant, malade
Je marche dans un Paris véritablement surréaliste, où l’on voit aux étals de marchands moyenâgeux des oiseaux rôtis plus gros que des autruches (« ils sont bien nourris, les pigeons, à Paris ! »), et où tous les immeubles sont déformés à la façon du décor de La maison du docteur Caligari. Je m’engouffre dans un métro dont les rames traversent anarchiquement les quais, eux-mêmes percés d’ascenseurs en verre surdimensionnés qui transportent des cohortes d’humains et de chevreuils. J’y rencontre un jeune homme qui se rend au même lycée que moi, vers le Champ-de-Mars. Nous voici passagers d’une voiture sans conducteur qui s’engage lentement le long d’une rampe interminable et presque verticale qui mène sur une plate-forme d’où la vue est absolument fascinante. On s’y arrête, en équilibre comme au sommet d’une grande roue. Nulle tour Eiffel à l’horizon, mais une sorte de grand portique qui sépare la ville de la forêt tropicale. La descente me terrifie, presque verticale elle aussi. J’arrive devant ce grand portique où je souhaite bonne chance au jeune homme qui doit passer ici un concours de botanique.
Moi, c’est un concours de poésie qui m’attend – je dois être reçu par l’Académie française, ou quelque chose comme cela. Les noms des candidats sont affichés sur des portes fermées, et je constate avec stupeur que Dany Laferrière fait partie du même groupe que moi. Le voici justement qui arrive, larges foulées de marathonien, en tête d’une délégation d’académiciens en costumes. Je m’exclame : « oh, Dany Laferrière ! », mais il passe presque sans me regarder et disparait derrière une porte. Il est le président du jury. Quelques minutes plus tard, il ressort pourtant, sans son costume, en simple candidat obligé de faire la queue avec les autres. Comme il est plus grand que nous tous d’au moins deux têtes, je lui dis : « Mon cher Dany, si je puis me permettre, on dirait vraiment un grand dans la cour des petits ! Comment tu te sens, grand Troisième au milieu des Sixièmes ? — Pourquoi dites-vous cela ? répond-il avec une timidité qui ne lui ressemble pas. Mais, qu’est-ce que vous allez faire ? — Moi, je crois qu’on va tous te jeter des boules de neige, ô grand Troisième ! », car entretemps le paysage s’est recouvert d’une épaisse couche de neige et ça floconne serré. Il éclate enfin de rire, je le retrouve comme je l’avais connu, un peu, en Guyane. Je lui raconte que c’est curieux de le croiser ici, car j’étais justement en train d’étudier un de ses livres. On parle de la Guyane, de la neige, de la migration des chevreuils (car ils sont dans le rêve devenus de grands migrateurs), on oublie la ville et le concours.
*
Pour rejoindre de nuit la maison d’Élodie, une tour immense au bord d’une falaise qui se jette dans l’océan qu’on devine déchaîné, il me faut me jeter dans le vide et me laisser porter par le vent. Je m’exécute malgré mon vertige et me trouve soulevé comme un fétu de paille dans le ciel crépusculaire. Je vole, non, je tourbillonne, sans rien pouvoir maîtriser, et c’est miracle si ma chute ne se termine pas dans les flots mais contre la façade de la tour contre laquelle je m’écrase. Je m’accroche aux pierres, gagne tant bien que mal une fenêtre derrière laquelle je devine la chatte Vanille et un intérieur douillet, avec un poêle allumé, un fauteuil, une bibliothèque. Je gratte aux carreaux…
*
Au matin de cette première nuit de vacances quelque peu perturbée par je ne sais quel virus, tout est sous la neige, qui continue de tomber. Ce sera, pour Noël et le retour de Léo, le plus beau des décors…
23/12/24