L’orage et le fascisme

L’orage d’été a surpris tout le monde. Cette nuit-là, recroquevillé sous ma couette et les volets fermés, j’ai bien senti qu’il se passait quelque chose d’anormal, parce que ces roulements d’orage qui ne s’arrêtaient pas ressemblaient à des explosions, et parce que la lumière qui passait quand même entre les fentes des volets et des rideaux était trop blanche, trop continue, pour être celle d’un simple orage. J’ai été lâche ou bien trop fatigué, je ne suis pas allé voir et j’ai rêvé de guerre toute la nuit. Au matin on ne parlait que de cela, le nombre d’impacts, les torrents de grêle sur Grenoble, la rencontre de ce courant froid venu heurter la poche de douceur qui nous avait fait croire le printemps installé.
Il y a ici peu de dégâts, quelques arbres arrachés, quelques arbres tombés, une fine couche de neige et de glace qui recouvre à nouveau les champs. Même cette nuit, les trois blaireaux de la taissonnière sont sortis. Avant que l’orage n’explose il faisait 15° et ils jouaient vraiment comme des chats à se poursuivre, à se mordiller, à se marquer les uns les autres en frottant leurs pattes et leurs postérieurs. La renarde est revenue renifler leur terrier, comme d’habitude.
J’ai quitté avec regret le réseau Facebook grâce auquel j’avais accès à bon nombre d’informations intéressantes. J’ai estimé à tort ou à raison qu’il n’était pas décent de continuer dans ces parages en livrant toutes sortes de données à une entreprise convertie au fascisme de Trump. J’ai migré vers le réseau Blue Sky, où je reconstitue peu à peu des contacts surtout orientés par mes intérêts écologiques (le pôle littéraire est encore peu présent). C’est ainsi que je vois s’afficher sur l’écran cette image proprement insupportable d’un blaireau mort, écartelé, pendu aux vitres de l’OFB en Haute-Loire. Ce sont les fachos de la coordination rurale qui ont fait cela, qui en ont fait et qui en feront d’autres, en toute impunité, puisque même le premier ministre de l’État s’en prend sans vergogne aux services chargés de faire respecter les lois environnementales. J’ai tant de mal à chasser cette image de ma tête, même pendant la promenade du jour, que me revient la tentation de me détourner tout à fait de ce monde-là, adieu réseaux, infos, écrans, mauvaises nouvelles, qu’on me laisse seul avec les orages d’été qui tombent en janvier…
Promenade paisible pourtant. Ça gronde encore un peu du côté de Grenoble. Le jaune paille des champs ressort sur ce fond gris bleuté. Deux grands renards qui ne nous ont pas entendu venir courent se réfugier dans les bois. Un rayon de soleil frappe la falaise lisse et claire de la Chartreuse en face. Un pic n’arrête pas de rire. Ça gronde encore. Les chiens s’affolent à cause des chevreuils. Je m’assois longuement sur le château d’eau au-dessus du ravin, tout près de la lisière. Le grondement du torrent, celui de l’orage qui s’éloigne et d’un avion qui passe, un instant s’équilibrent. Plus loin le Grand Arc perce de sa flèche éclatante le ciel anthracite. Belledonne repose de toute sa masse encore hivernale de neige et de vie assoupie. Les chiens bruyamment croquent un morceau de glace. Ainsi se referme le chapitre de janvier.
30/01/25


