Shikantaza

Cette fois c’est de nouveau la débâcle, les eaux printanières qui ruissellent partout et emportent la neige en même temps que nos souvenirs de vacances. L’herbe est souple sous le pas, quel soulagement ce doit être pour les bêtes.
Je m’empresse d’aller relever le piège installé près de la souille, autour de laquelle l’espace probablement dégagé par la chute ancienne d’un grand sapin est comme un théâtre vide entre deux représentations. Ce tronc insignifiant est de la plus haute importance pour les renards, je le sais, tous les mâles marquent à cet endroit. Ce trou d’eau trouble est essentiel pour les sangliers et les biches qui viennent ici se défaire de leurs parasites. On relève sans peine toutes les traces de passage, empreintes, laissées, petit crottin serré en grappes comme des fèves bien allongées des lièvres, bien arrondis des chevreuils, tout ronds ce sont les cerfs, en gros amas les sangliers.
Je ne m’attarde pas. Rimski et Nouchka que j’ai laissés plus loin attachés en lisière ont l’habitude à présent : ils ne bronchent pas, ils savent que je reviens et en profitent pour ronger des morceaux de bois.
Il fait si chaud, même la polaire était de trop me voici en t-shirt, assis au sommet du grand champ totalement libre de neige, puis sur le château d’eau au-dessus du ravin. Je ne m’embusque pas, en fait : ces termes d’« embuscade », de « traque », que j’utilise souvent, ne sont pas tout à fait exacts. Ils me viennent de mes lectures d’enfants, car je reste un enfant qui aime jouer les trappeurs, mais je ne suis pas un trappeur, pas un chasseur, je ne me cache pas pour surprendre les animaux. Je m’assois simplement, encore assez visible, et je laisse venir : dans le Zen on appelle cela shikantaza, « juste s’asseoir ».
Soudain Rimski se tend, il a senti ce que je vois : un renard qui passe en contrebas, sans s’inquiéter de nous. Rimski ne le voit pas. On reste silencieux.
05/01/25


