Petit printemps

La fonte de la neige met à nu dans le pré des ouvertures, des galeries de campagnol ou de mulots que les chiens flairent avec passion. Chaque débâcle est un petit printemps, une petite renaissance, les oiseaux se remettent à chanter et les sangliers en profitent pour retourner de plus belle la terre redevenue souple. Une campanule mauve a refleuri en lisière. On s’assoit un moment au-dessus du Grand Creux, avec vue plongeante sur le chaos des arbres dont certains semblent pousser à l’horizontale depuis la paroi du ravin et forment d’étranges ponts couverts de mousse entre les autres troncs verticaux. Il y a beaucoup de mousse ici, beaucoup d’humidité. Ça sent bon la terre et le vert – là encore, comme une anticipation du printemps.
On se fraye un chemin dans le creux de l’énorme châtaignier déraciné qui servait autrefois de terrain de jeu aux enfants, qui l’appelaient « le dinosaure ». Plus loin voici le petit bosquet de bouleaux et de saules où j’ai observé les gobe-mouches il y a quelques mois. J’ai lu depuis qu’ils faisaient partie de ces espèces migratrices qui n’avaient pas réussi à suffisamment modifier leurs dates d’arrivée pour qu’elles coïncident avec le pic de pullulation des chenilles que le réchauffement climatique a décalé d’une dizaine de jours. Les gobe-mouches, parait-il, peinent d’autant plus à se nourrir et à nourrir leurs petits qu’ils sont en concurrence directe avec les mésanges charbonnières, un peu plus grosses qu’eux et qui s’engraissent en outre aux mangeoires en hiver. La douceur des hivers devrait plus que jamais nous inciter à éviter ces nourrissages aux conséquences potentiellement négatives…
On remonte le grand pré criblé de crottes de chevreuils encore toutes fraîches, puis nouvelle halte au château d’eau, carrefour des sentiers humains et cervidés, dans la hêtraie-sapinière au-dessus du Gelon. Shikantaza. Rimski reprend le creusement d’un trou entamé près de la motte d’un arbre déraciné, son œuvre à lui, sa façon d’être avec l’arbre et le lieu.
Je passe seul ensuite près des terriers des blaireaux et vers la souille où j’ai placé le piège photographique, dont je ne m’approche pas. La nuit dernière un jeune sanglier blessé à la patte avant droite et qui boitait, s’est roulé longuement et précautionneusement dans la souille. Les images que l’on capture ainsi disent aussi la dureté de la vie sauvage : ce renard à la gueule tordue par un problème à l’oreille ou à la mâchoire ; cette biche si bien parasitée qu’elle passe cinq minutes en plein jour à se frotter, à se rouler dans la souille… Il n’empêche que toutes ces présences animales que je côtoie, que je perçois même sans les voir directement, me comblent de joie.
06/01/25


