Peu de choses – la pluie, les bêtes

Aujourd’hui encore tout le fond de vallée baigne dans une mer de coton trempé, à travers laquelle j’imagine qu’on ne voit pas à vingt mètres. Sur les hauteurs où je flâne, il fait simplement très gris, très humide, la pluie martèle les feuilles mortes amassées en lisière sur la terre retournée par les sangliers qui ont encore agrandi leurs labours. La gouille déborde d’une eau nouvelle, très sombre, dans laquelle se reflètent les longs et minces troncs gris clair des bouleaux, et qui contraste avec les plaques de glace qui sont restées en son centre. Je m’attends à une migration prématurée des grenouilles rousses, je me dis que c’est déjà mars…
On accuse parfois mes chiens d’être bruyant et de faire fuir les bêtes. C’est très injuste : le geai hystérique qui vient d’alerter toute la forêt alors que nous étions encore à cinquante mètres fait bien pire ! C’est pourtant à ce moment-là que surgit sur la crête le chevrillard que j’ai déjà observé et filmé à plusieurs reprises, qui réitère ce que j’interprète comme une manifestation de curiosité à notre égard puisqu’il est sorti juste après le cri d’alarme du geai et se tient à présent tourné vers nous, les oreilles dressées. Comme nous sommes silencieux et statiques, je suppose qu’il peine à nous identifier, à cette distance, alors que moi je le scrute aux jumelles. Sa mère apparaît à son tour, je suppose que le deuxième de ses petits doit être tapi à quelques mètres, caché par les troncs. Je suis toujours rassuré de le retrouver, ce trio-là que quelquefois rejoint l’adulte (mâle ou femelle, je n’ai aucune certitude) à la robe plus sombre.
En contrebas passent un coureur qui surveille sa montre, puis un autre, tous deux équipés de cartes et de boussoles : sûrement une sorte de jeu de piste. La pluie recommence à tomber drue et l’on s’engage dans le sous-bois. Crépitements. Vacarme du torrent. On suit en direction du piège la sente des sangliers. La pluie est trop forte pour que je regarde tout de suite les images, mais un simple coup d’œil me permet de constater que les renards, les sangliers et les cervidés sont passés, ainsi que le laissaient supposer les nombreuses crottes accumulées. Pendant ma courte absence le deuxième groupe de chevreuil vient narguer les chiens, qui protestent. La pluie redouble. On rentre ruisselants.
C’est peu de choses, aujourd’hui, mais on s’en contente de bonne grâce.
09/01/25


