Vigie, janvier 2025

 

Passer l’hiver

 

 

Ce froid sec et coupant, cette terre dure et blanchie, ces longues nuits et ces journées courtes de janvier telles qu’on peut les vivre à l’extérieur des maisons calfeutrées, je les traverse avec une insouciance et un émerveillement que ne partagent probablement pas tous ceux dont l’abri est précaire.

Il n’y a pas de clochards dans nos campagnes, juste des gens qui vivent de peu et habitent souvent des passoires thermiques qu’ils n’ont plus les moyens de chauffer : on comprend que ceux-là n’aiment pas beaucoup l’hiver.

Il y a les arbres, dont l’abri est un long sommeil sans rêves ni cauchemars – ceux-là sont en un sens les plus tranquilles des vivants.

Il y a tous ceux qui ont choisi d’hiberner, les marmottes, la plupart des chauves-souris, agitées seulement par la crainte de manquer de nourriture (ou bien d’être violées pendant leur sommeil, ce qui semble fréquent chez certaines chauves-souris !…).

Il y a ceux qui ralentissent, comme les blaireaux, et sans doute ce sont d’eux dont je suis le plus proche avec ma façon intermittente d’habiter l’hiver.

Il y a ceux qui s’en vont plus ou moins loin, et ce n’est certes pas la voie la plus facile : les ressources s’amenuisent, les refuges se font rares, le réchauffement climatique perturbe les cycles biologiques, sans compter le brassage génétique qui peut devenir un sadique brouillage en vous assignant sans prévenir une carte mentale délirante qui, au mieux, vous fera explorer de nouveaux chemins et de nouvelles terres potentiellement salutaires pour l’espèce, et au pire, le plus souvent, vous conduit à la mort.

Il y a ceux qui restent et qui font ce qu’ils peuvent pour passer entre les balles des chasseurs et trouver à manger.

De la terre impossible à creuser, un sanglier a quand même réussi à extraire des pieds de mouton gelés, souvenir du dernier automne. (Les sangliers, je les ai vus quelquefois former de véritables cercles, comme les manchots empereurs, pour se protéger des bourrasques de neige…) Les chevreuils se serrent les uns contre les autres en petits groupes solidaires. Depuis quelques jours les cerfs, les chamois, les casse-noix et les loups aussi redescendent. Cela n’est pas tragique, et l’on est bien loin des hivers vraiment rudes qu’on connaissait naguère, mais quand soudain vers dix heures la brume se disperse et le soleil revient qui amollit la terre, on sent comme un frisson de détente qui parcourt la montagne. La chevrette et ses deux petits se risquent en lisière. Je les salue de loin, puis je bifurque vers le soleil.

16/01/25

 

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