Au plus près
Quatre geais traversent le ciel gris, l’un d’entre eux émettant d’étranges bruits de poulie mal graissée qui se mêlent aux cris rauques des autres. Un pic épeiche martèle le tronc nu d’un grand châtaignier. Deux sitelles jouent les acrobates. Le rouge-queue mâle juché sur le toit froisse sa partition de mars. L’air humide porte bien les improvisations virtuoses de la grive musicienne, qu’accompagnent une fauvette et une mésange huppée. Et puis, il y a partout aussi les appels colorés des fleurs, lamier pourpre, draves, coucous…
Rimski soudain et fonce à l’endroit où, hier, se sont succédés la chevrette et le brocart en velours devant le piège photographique ; il en ressort orné d’une branchette de sapin qui lui fait comme un camouflage : nouvelle stratégie d’approche.
Ce cadavre de grenouilles, au même endroit : le même qu’hier ?
Je songe à l’image si touchante de la chevrette qui, donc, est passée hier devant le piège et s’est arrêtée, intriguée, en gardant sa patte arrière gauche relevée avec la grâce et l’élégance d’un limicole sur la plage. « Les chevreuils ne sont pas loin, les crottes fraîches dans l’herbe du pré en attestent et les chiens s’affolent », me dis-je avant de valdinguer contre un pommier, emporté par Rimski et Nouchka, parce que La Grise et Le Petit sont sortis de la lisière. Les chiens aboient. La Grise et Le Petit nous regardent sans bouger. Je peux voir très distinctement la face grise qui semble toujours dépenaillée, comme si elle était vieille (c’est peut être le cas), et les petites bosses sur le crâne du Petit qui révèlent aussi bien que le miroir en forme de haricot son genre masculin. Les chiens se calment, on reste un moment à les regarder et l’on passe à leur côté. Ils ont repris leur mastication calme et nous ignorent. Je suis tenté de leur dire bonjour en passant, tant ils sont proches, étrangement familiers – alors que les premières fois où j’ai vu La Grise, elle était la plus farouche du groupe (c’est elle qui était venue chercher La Brune et La Petite un jour où nous étions proches les uns des autres comme aujourd’hui). Nul besoin d’aller plus loin dans le rapprochement, je suis déjà comblé.
16/03/25
