Journal d’un méliphile, novembre 2025

 

Dialogues méliphiles

 

 

19 novembre 25

Ce qui fait aussi que l’observation à distance de la vie des blaireaux n’est pas un monologue, c’est qu’on ne cesse de poser des questions auxquelles ils répondent… quand ça leur chante et sans le savoir, évidemment. Je me demandais par exemple comment ils s’y prenaient pour creuser des trous aussi parfaitement ronds, en forme de cônes inversés semblait-il ; Courage vient de me donner la réponse.

Les latrines étant pleines, il était temps d’en creuser de nouvelles. À quelques centimètres de la plus indiscrète de mes caméras, le voici qui commence à renifler, à s’agiter, à tourner, à gratter à côté du trou précédent comme le ferait un chat mécontent de l’état de sa caisse, en émettant de petits grognements gutturaux, un peu plaintifs, comme les protestations d’un cochon enroué (les manifestations vocales sont assez rares pour être soulignées : en dehors des cris qui accompagnent les accouplements et des ronronnements de Vara et des blaireautins quand ils étaient tout petits, ce n’est que la troisième fois que j’en entends). Il creuse ainsi avec les longues griffes de ses pattes avant un nouveau trou dans lequel il fourre sa truffe, avec laquelle il donne, au sens propre, de vrais coups de boutoir (puisque le boutoir désigne à l’origine le groin du sanglier), enfouissant finalement sa grosse tête dans le trou jusqu’aux oreilles tout en continuant de gratter avec ses pattes avant. L’opération dure moins d’une minute, après quoi il sort son museau évidemment terreux, avance d’un pas, immobilise ses fesses au-dessus du trou et défèque assez copieusement, ainsi que je l’ai constaté ensuite de visu.

Après son départ, un mulot forestier vient visiter les latrines, puis un chevrillard, la nuit suivante Courage lui-même revient (ou bien Prudence, je ne sais vraiment pas…) et urine à côté, puis c’est au tour d’un rouge-gorge, d’un merle… et de l’humain qui n’apparaît pas à l’écran mais qui, à défaut d’y fourrer son nez avec le même enthousiasme que le blaireau, y a tout de même jeté plus qu’un coup d’œil… (Je suis toujours étonné de ce que ces excréments, assez semblables pour l’apparence aux étrons humains, soient si peu odorants, sans comparaison aucune avec ceux du loup ou du chien, probablement en raison de son régime omnivore…)

Le dialogue peut aussi venir d’ailleurs. Ainsi, Yann Lebecel, après avoir visionné l’une de mes vidéos, me demande sur quels critères j’ai défini qu’il s’agit des blaireautins de l’année, puisqu’ « à cette période, les jeunes ont une taille d’adulte, ou presque, et [qu’] il n’est pas aisé de distinguer jeunes de l’année et adultes. » « Dans leurs comportements, je trouve qu’ils font très « adultes » (pas de comportement de jeux par exemple) », ajoute-t-il. Je réponds en racontant toutes mes interrogations, mais il se trouve précisément qu’ils ont choisi la nuit dernière pour reprendre l’un des jeux favoris de leur petite enfance : la joute de truffe de part et d’autre de l’arbuste qui pousse devant la gueule n°3 (et qui se trouve évidemment complètement écorcé), assortie de diverses morsures et même, à un certain moment, d’un tirage de queue en bonne et due forme ! On n’imagine pas des adultes se comporter avec aussi peu de sérieux…

La nuit suivante ils mêlent encore les registres, consacrant d’abord de longs moments à des exercices de grattage synchronisés qui semblent malheureusement indispensables (j’espère pour eux que la baisse des températures les débarrassera d’une partie de leurs parasites) avant de recommencer leurs jeux, accompagnés cette fois de quelques cliquetis que je juge juvéniles, puis Courage repart ratisser un peu l’esplanade… mais Prudence lui court après, décidément veut jouer, et les voici qui, aussi lourdauds soient-ils devenus, se remettent à sautiller, ranimant un instant le souvenir des petits blaireautins à bascule qu’ils étaient ! Ils disparaissent finalement dans la gueule 1, qu’un renard, au petit matin, puis trois chevrettes viennent renifler – prolongeant ainsi une autre forme de dialogue interspécifique.

 

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