Lecture d’images

5 novembre 25
Rien de meilleur, pour atténuer la dureté du retour en classe, que de leur montrer des images des blaireaux . Cette « activité sas à durée limitée » (ainsi que je la présent) gomme non seulement les différences d’âges entre sixièmes, cinquièmes, quatrièmes et troisièmes, mais aussi entre les niveaux scolaires, chacun s’estimant soudain légitime pour intervenir à loisir, et réunit en outre adultes et élèves dans un même émerveillement non soumis à l’évaluation. « Monsieur, c’est fascinant, les blaireaux ! » (le ton sur lequel la phrase est prononcée exclut toute flagornerie). Et puis, on fait quand même le programme : analyse et interprétation d’images, formulation d’hypothèses, discussion, interactions, enrichissement du vocabulaire…
Cette fois, j’ai choisi de leur montrer la séquence ou Courage et Prudence semblent travailler brièvement de concert. Je ne leur dis pas ce qu’ils font mais les laisse décrire et commenter. Certains se livrent à cet exercice pour la première fois (c’est le cas du groupe de sixièmes que je ne vois que très ponctuellement, mais où se trouve mon spécialiste incontestable du sujet, capable de disserter sur l’odeur de groupe, les naissances différées ou le changement de la litière…).
On voit d’abord Courage seul qui rassemble les feuilles. « Oh, il glisse, il est tombé dans le trou ! — Mais non, il essaye de le boucher avec les feuilles ! — N’importe quoi, il met des feuilles dans son terrier pour faire chaud ! — Oui, c’est sa litière, il prépare sa maison pour l’hiver ! — Est-ce que ça hiberne, les blaireaux ? »
Survient Prudence. Qu’est-ce que vous remarquez ?
« Mais elle ne fait rien du tout, celle-là ! Elle gêne, elle reste sur son passage alors qu’il est en plein travail ! Elle pourrait quand même donner un coup de main, elle n’a vraiment pas l’air concerné ! »
Comment expliquez-vous cela ?
« Elle est plus jeune que lui, elle ne sait pas comment s’y prendre ! — C’est une répartition des tâches, c’est tantôt l’un, tantôt l’autre, là ce n’était pas son tour à elle… ou bien c’est seulement les mâles et pas les femelles ! »
J’explique que toutes ces hypothèses, quoi que judicieuses, sont erronées, et donne quelques informations complémentaires (après avoir répondu à une salve de questions sur l’identification des individus pour l’observateur humain, mais aussi sur celle des blaireaux entre eux : « S’ils ont la même odeur pour toute la famille, comment reconnaissent-ils leur mère, leurs frères ?… »).
« Bon, alors, elle est neuneu, ou alors elle est juste feignante, elle a pas envie, c’est humain, quoi ! » (Sic.)
Vient le moment où Prudence forme sa propre boule et où les deux blaireaux redescendent l’esplanade ensemble jusqu’à la gueule.
« Et ben ça y est, M’sieur, elle l’imite, elle a vu ce qu’il faut faire, et elle fait pareil, il suffisait de lui montrer pour qu’elle apprenne ! — Oh, mais elle a tout laissé tomber devant le trou, trop la flemme ! — Mais non, elle pouvait pas y aller, elle aurait enterré son frère qui venait de rentrer ! »
Il est rassurant de constater que, sans intervention de ma part, les quatre groupes concernés font les même constats que moi. J’en conclus à une certaine objectivité de ma part !
Vient la dernière phase, lorsque Prudence commence à gratter la terre.
« Elle efface les traces pour que les prédateurs ne trouvent pas l’entrée !… — Mais non, elle gratte la terre, elle refait le chemin pour que son frère puisse passer avec son chargement ! Elle l’aide, quoi !… Pas bête, la blairelle ! »
La séance, trop brève, se conclut sur le retour de Vara, qui me confirme qu’il n’est pas si difficile d’individualiser les blaireaux : « Holà, eh ben elle est balèze, celle-là !… »


