Vigie, avril 2014

 

 

 

LE LIVRE ET LA MORT

 

C’est vraiment un beau matin d’avril. Il a grêlé hier et le sol est jonché de pétales. Cela n’a rien de funèbre, et l’on pense plutôt un mariage, au confetti jetée d’une fête. Feuillages vert tendre et pétales blancs se mélangent, les pétales peu à peu absorbés par le vert, et cela fait une sorte d’infusion douce. Tout semble réglé à merveille : que les pommiers eux aussi composites, avec leurs fleurs rose et blanc, fleurissent maintenant, pourrait révéler l’excellent sens esthétique d’un Dieu créateur — devant une telle perfection humaine, on comprend en tout cas l’argument des croyants. Cette odeur d’herbe mouillée dit aussi quelque chose du plein épanouissement printanier. Plein printemps. Plain-chant du printemps. Apogée du printemps. C’est aujourd’hui qu’on sent le mieux la renaissance.

Hier après-midi Marie-Thérèse Mutin, que j’avais à peine osé recontacter après tant d’années de silence, a dit oui à la publication de L’éloignement. Cela m’est allé droit au cœur. Elle a d’abord protesté en disant qu’elle était mal placée pour promouvoir le livre, que le publier chez elle reviendrait à « l’enterrer ». Toute naissance n’est-il pas le prélude à un inévitable enterrement ? On tâchera cependant de retarder celui-ci. Me voici prêt à m’impliquer dans la promotion du livre, sans tergiversations. Que cette nouvelle intervienne quelques jours à peine après Pâques, les anniversaires de Josette et Clément et presque deux ans après que j’ai terminé l’écriture du livre, relève aussi d’une conjonction heureuse (comme pour la floraison des pommiers). Je ne jetterai pas volontairement de l’ombre sur le petit soleil de ce contentement-là.

J’annonce au téléphone la prochaine parution de L’éloignement à Josette. Nous nous en réjouissons ensemble. Au dehors le soleil est superbe, et le chemin recouvert de pétales blancs…

La nuit cependant a été mauvaise. Josette raconte son rêve, ce rêve-là :  

« Il y avait dans une pièce un certain nombre de gens, je ne sais qui ils étaient, il y avait moi et… un frigo. Ces gens avaient l’intention de me mettre vivante dans ce frigo, de le fermer, de le mettre en route et de m’y laisser jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il y avait pourtant un problème, les clayettes du frigo ne laissaient pas assez de place disponible pour que je puisse y tenir, donc il fallait les enlever. Une fois cette chose faite je devais entrer dans le frigo, mais uniquement pour vérifier que j’aurai assez de place, la « mise en frigo » définitive devait intervenir après, quand je ne sais pas. Je rentrais donc le frigo et je me recroquevillais pour ne pas trop tenir de place, tout était parfait, je tenais parfaitement, mais alors j’imaginais ce qui se passerait plus tard, je me voyais assise ainsi dans ce frigo qu’on allait refermer, je savais que je ne pourrai plus respirer, que j’aurais très froid et je prenais conscience que jamais je ne pourrai supporter ça, que l’idée même de ce que j’allais ressentir m’était insupportable, déjà je suffoquais, j’étais saisie d’une terrible angoisse… mais je n’osais pas le dire, tout avait été convenu ainsi et il était trop tard pour revenir en arrière… La suite je ne sais, je me suis réveillée et j’ai eu cette angoisse pendant longtemps car j’étais vraiment enfermée dans le frigo ! »

C’est évidemment un rêve de mort, un rêve comme dicté du corps et qui annonce l’imminence de la mort (ma mère, de fait, n’a plus à vivre que deux mois et demi – et la relecture de ces notes n’est désormais rien d’autre qu’un sinistre compte à rebours).

 

jeudi 24 avril 2014

 

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