Vigie, avril 2014

 

 

 

DES ILLUSIONS

 

Je ne me souviens pas de ce rêve fait dans la nuit, fixé pourtant dans la mémoire par le hasard d’un réveil intempestif, et dans lequel il y avait mon grand-père, plus jeune et plus grand qu’il ne l’était dans la réalité. Je me souviens cependant de quelques-uns de ces rêves, de ces moments où on a cru voir un monde offert, un monde ouvert, la possibilité imminente d’une réalisation, d’une plénitude, de quelque chose d’à la fois fixe et épanoui. Force est de constater qu’il s’agit toujours d’une illusion plus ou moins élaborée, mais celle-ci fait écho à une aspiration profonde et s’appuie sur la réalité, se trouve toute emmêlée de réalité (elle ne serait sinon pas du tout opérante, elle ne brûlerait pas, elle passerait indifféremment).

Je me souviens de cette grande joie, de cette grande énergie, de cette sensation même d’abandon que j’ai pu connaître pendant certains spectacles de Jacques Higelin. Je pense tout particulièrement à celui-ci à Saint-Pierre de Chartreuse, où je chantais debout parmi la foule le refrain d’ « Irradié » ; ou à cet autre aux Deux-Alpes, pendant la chanson « Pars », pendant laquelle j’ai vécu la ferveur, la jeunesse retrouvée des années 80. Il y avait à chaque fois comme la possibilité offerte d’un retour en arrière. Et puis un jour, la machinerie se casse, l’illusion se déchire. Voici que le concert piétine, que l’artiste, ayant mal préparé son spectacle, peu inspiré sans doute, se perd cependant que la salle peu à peu se vide. D’un seul coup l’agacement vient. On quitte le devant de la scène, en fait quelques mètres de côté et on voit le spectacle pour ce qu’il est (un spectacle), on voit de l’extérieur la salle, l’artifice des projecteurs, le public. On sort un moment. On tente de revenir (l’artiste a repris le dessus, et chante de toutes ces forces) mais c’est trop tard. C’est terminé. La magie (l’illusion) n’opèrera plus.

De même avec C.R.

De même, avec une plus grand intensité encore, lors de ce séminaire d’été avec Fabrice Midal.

De même avec l’écriture, pendant longtemps — mais le feu éteint, cette fois, s’est rallumé, comme cela arrive aussi parfois.

 

mercredi 9 avril 2014

 

Ce contenu a été publié dans 2014. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.