La salle en décembre

 

 

 

PAR LES FAILLES

 

 

Nuit et brouillard

 

 

L’écriture au collège s’immisce par les failles de l’emploi du temps : elle est écriture de l’avant, de l’après, de l’attente dans les coulisses, de la salle vide, ou silencieuse les jours de devoir ; elle reste cantonnée à la marge, au piquet, à la porte, toute seule dans le couloir à écouter de loin la rumeur de la vie…

 

Ainsi, j’écris dans la salle désertée, désertée parce que les élèves de Troisième sont partis en stage et que le temps est long entre deux cours de Quatrième, le premier à neuf heures, le second à quatorze, face à l’ennui des copies à corriger, des papiers à remplir, de toutes ces corvées minuscules qu’on ne perçoit pas quand on est dans la fièvre du cours mais qui vous retombent dessus comme une mauvaise grippe dès que le silence revient.

 

Ainsi, j’écris dans le grand vide d’un jour de grève, pestant mentalement contre la grève (et contre l’élève qui a osé dire que je serais moi-même absent) non parce que je désapprouve la grève mais parce que je ne supporte pas ces moments de flottement où la belle armée des heures laisse l’ennemi de l’oisiveté s’infiltrer dans ses rangs !

 

Ainsi j’écris au bord de ce vide plus inquiétant encore du départ, à l’orée de la triste vacance hivernale. Trois ou quatre heures encore à parler dans la salle de plus en plus froide qui sent comme chaque fois la pizza, avec l’esprit de plus en plus confus et l’impression grandissante d’avoir été projeté dans une autre dimension temporelle, puisque les élèves qui défilent devant moi sont devenus adultes.

Soudain m’interpelle un jeune homme que je ne reconnais pas, qui n’a plus l’âge d’être un élève et pas encore celui d’être parent, ce qui signifie – son air jovial me le confirme – qu’il ne peut s’agir que d’un revenant, d’un des fantômes de la salle 214, ce qu’il confirme aussitôt : « Vous ne vous souvenez pas, Monsieur ? – Non, je suis navré… – C’est à cause de la barbe, bien sûr : je suis Hugo ! » Hugo dont le visage juvénile réapparaît aussitôt (c’est vrai qu’avec la barbe…), et je constate avec la stupeur habituelle que le temps, si bien figé à l’intérieur de la salle, file au dehors comme un sacré blizzard…

 

Comme un voleur je traverse à grands pas la cour envahie de brouillard et de nuit.

 

 

19 décembre 2019

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

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