Vigie, août 2013

 

 

 

UN FEU PARTICULIER

 

 

La poésie exigerait donc que « je » disparaisse, que je prétende n’être rien d’autre que cendre et fumée (que je le dise en tout cas mais non que je le réalise, car il faudrait me taire alors ou courir un vrai danger) ?

Mais sitôt cela écrit je vois cette fumée bleutée là-bas qui monte du jardin de mon voisin Reinhard, et qui n’est pas « fumée », et aussitôt je sens l’exquise odeur de la résine de ce feu précisément allumé en ce dimanche d’août par Reinhard parce qu’il a taillé des arbres et ce n’est pas du tout « le feu » en général pas plus que mon voisin Reinhard n’est « le voisin » en général ; et aussitôt je vois à la fenêtre de la maison la tête de mon tout petit qui, m’apercevant au loin assis sur les hauteurs du jardin que j’appelle encore parfois « la montagne » m’appelle et me demande : « est-ce que je peux venir ? »

Si la poésie exige de moi que je renonce à l’anecdote, aux aléas, aux tout petits détails de ma vie ordinaire, sous prétexte qu’il faut tendre au général et parler à chacun en ces termes abstraits qui ne parlent d’ailleurs plus à personne, je préfère poliment renoncer à cette poésie-là, et ne parler qu’à moi-même. Comme ce feu-là et comme mon enfant ce matin n’ont parlé qu’à moi-même.

 

18 août 2013 

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