La beauté vue de loin (Camargue, avril 2012)

Le chemin, la chienne et la poubelle

 

 

 

Je marche à pas vifs le long de cette ligne droite interminable, avec dans la main droite la laisse de la chienne et dans la gauche une assez lourde poubelle. Je suis tendu vers ce but de la benne à ordures, là-bas au bord de la grand-route, tout au fond de l’image. J’avance en ahanant sur ce chemin de pierres, en direction de ces lointains d’où on entend croître, exploser puis décroître le vacarme intermittent des voitures. J’accélère. Au bout du chemin je pourrai me délester.

Avec moi il y a comme toujours la chienne dont l’obsession est de me détourner coûte que coûte de la ligne droite. Elle, se fiche éperdument du but et ignore la nécessite dans laquelle je me trouve de me délester. Elle multiplie les embardées, veut suivre tous les chemins de traverse – au moment où je parle elle vient de sentir une odeur contre laquelle elle se frotte éperdument. Je trouve que nous faisons tous les trois (le sac poubelle, la chienne et moi) une belle image, peut-être un signe ou un symbole, sur ce chemin de cailloux clairs qu’on sent bien sous la semelle fine des bottes.

J’arrive, je soupire, je me déleste avec soulagement de mon fardeau.

Maintenant je savoure le vent, et l’extraordinaire de ces horizontales. Je fredonne : « Des étendues, j’en veux encore, des étendues… » Je fais trois pas de côté, m’aventure parmi les roseaux, me détourne en toute liberté. Une corneille passe en croassant, qui agrandit encore un peu plus l’espace. Les sensations qui viennent sont encore hivernales, au milieu de toute cette terre morte, retournée et sèche, que balaye le vent frais ; mais j’ai soif de ces étendues, de cet espace que ponctuent les cris d’oiseaux, les petits arbres rabougris où les feuilles percent à peine, les griffes de la chienne qui grattent le calcaire et le bruit de mes bottes. Il faut dire que c’est merveilleux de ne plus avoir cette grosse poubelle avec laquelle on ne pouvait pas s’arrêter tranquillement, et je regarde avec sympathie même les ronces qui poussent dans le fossé avec l’air agressif de fléaux médiévaux.

La chienne, cependant, museau au sol, veut rentrer au plus vite. Elle tire et je traîne. Elle se tourne vers moi et, comme l’enfant quand il fatigue, semble me demander en implorant un peu quand est-ce qu’on arrive. − À chaque pas, on est toujours déjà arrivé n’est-ce pas… Prends donc le temps de souffler avec le vent qui se lève à nouveau et ébouriffe les roseaux, respire et souffle tant que tu peux…

« Des étendues, j’en veux encore, voix sans issue… »

À nouveau le vent, l’espace, et le chant des tourterelles qui est le même partout et partout rouvre l’espace.

 12 avril 2012

 

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