La beauté vue de loin (Camargue, avril 2012)

Tous pareils !

Le téléphone sonne qui interrompt la guitare de mon père. Il se précipite, et le métronome continue seul. On craint le pire, à cause de ma grand-mère. Ce n’est pas Montluçon, mais Annie, notre vieille amie de Ferney, qu’on doit retrouver prochainement aux Saintes. La guitare reprend sur un rythme plus rapide.

*

Tout à l’heure le vent a soufflé à faire peur ; il se calme peu à peu. On devise paisiblement le long du chemin droit. Le poulain joue les bravaches et s’éloigne de sa mère ; mais quand on s’approche aussitôt il retourne se cacher derrière elle et nous considère en tremblant. Les enfants jouent au soleil de onze heures. Un lézard s’est embusqué juste au-dessus du taureau solaire du cadran.

On s’étonne de la douceur, des variations de température, de la qualité de la lumière, de cette façade claire comme la page du carnet.

Jamais nous n’aurons eu je crois d’aussi paisibles conversations.

Le bruit d’un tracteur.

La brise dans le tilleul.

Léo parle de Guyane au petit Baptiste qui, lui, évoque avec l’accent chantant du midi la Martinique qu’il connait (tout est parti d’une araignée minuscule qui courait sur le manuscrit de L’éloignement).

Clément jette la voiture que le jeune labrador marron prend dans sa gueule (« il va manger la voiture ! » clame-t-il dans les aigus), puis tente vaille que vaille de suivre les grands.

Le poulain se serre contre sa mère.

Quand j’étais petit j’avais le sentiment d’être profondément, radicalement différent de tous ceux qui m’entouraient, tout particulièrement de mes congénères du même âge. J’ai aujourd’hui le sentiment d’être profondément, radicalement semblable à eux (et si je reste distant ce n’est que par timidité, ou pudeur, ou juste par habitude): tous pareils au fond, pris dans la même lumière et la même inquiétude ! J’estime avoir fait de grands progrès.

11 avril 2012

 

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