Paris, pour apprendre (juillet 2015)

À VERSAILLES

Parisjuillet201508

 

La queue devant l’immense château aux hautes grilles dorées : le métro de Tokyo aux heures de pointe, à grand ciel gris ouvert.

 

Perspective grise et or.

 

On piétine débonnairement sur les pavés gris qui permettent de mesurer notre très relative progression. Les anneaux de ce serpent sont des têtes métissées, son sifflement est polyglotte (mais chinois et japonais dominent).

 

On s’arrache néanmoins à cette fascination momentanée pour la foule touristique, et l’on pénètre dans le palais de la démesure par une entrée dérobée des petits appartements − par le côté intime, donc, plus à même éventuellement de toucher. Nul garçon bleu ne nous annonce : on se sent voyeur clandestin, sans indulgence ni nostalgie pour le fatras de ce faste, déployé à quel prix… La fonction sociale (qui plus est oppressive, dictatoriale) et les rites pseudo-solaires ont pris toute la place. Au petit Trianon on respirera un peu mieux, mais ici…

 

Les jardins de Versailles : si j’étais un oiseau (un rapace), un avion, un char d’assaut, j’en apprécierais sans doute les proportions, les perspectives − mais en simple touriste je piétine le long de ces allées sonorisées qu’écrase un soleil patibulaire. Dieu sait si j’aime les dorures, la lumière et le vaste ! Mais le détournement qui en a été fait ici est un peu gros pour passer. Je ne suis en outre pas tellement sensible aux grandes perspectives horizontales chères à Réda. Les obstacles, les montagnes me manquent.

 

Un autre détournement me questionne, celui du tourisme de masse — de cette masse dans laquelle je me fonds sans vergogne ni orgueil. Tous ces gens venus pour beaucoup de très loin, leur expérience du lieu est-elle aussi pauvre que la mienne ? Est-ce que, passée la brève excitation qu’on ressent à être ainsi happé par le livre d’Histoire, chacun ne ressent pas une certaine lassitude, que masquent à peine ou même expriment la manie du « selfie » télescopique et les rafales de photos dont je peine à croire que quiconque les regarde par la suite plus d’une fois, même pour mémoire ? − Je ne suis pas là mais la photo (ou ces lignes) y seront à ma place, plus tard.

 

Tourisme toujours plus ou moins rétrospectif, de l’ordre du projet, de la projection, du fantasme : j’ai été à Versailles, j’aurais été à Versailles, j’aurais vécu une vie plus ample, une vie à la hauteur… C’est comme si.

 

Reste l’étourdissement qui vient de la fatigue, de la marche obstinée dans les allées, dans ses châteaux, et ces dorures au coin de l’œil, et cet éclat final du soleil couchant sur le portail enfin refermé du château qui se rendort…

21 juillet 2015

 

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