Paris, pour apprendre (juillet 2015)

AU PARC MONTSOURIS

Parisjuillet201505

Le parc Montsouris, c’est le domaine

où je promène mes anomalies…

Higelin

Écrire est meilleur que lire, regarder est meilleur que rêver, vivre est meilleur que tout : je lâche le livre et je regarde alentour les grands pins, le ciel gris, les nourrices africaines, antillaises ou maghrébines venues promener ici leur marmaille métissée (exquises remontrances multilingues, pleines de tendresse et théâtrales en diable) − ici, au parc Montsouris, en ce midi, en ce mi-temps de vacances si tranquilles.

 

Les enfants qui creusent le sable prennent des postures de chiots fous, d’aigrettes ou de funambules dont un peintre − disons Bonnard − pourrait faire des esquisses admirables, parce que c’est tout le mouvement du monde qui se lit en elles comme se lisent les lignes des grands pins dans l’aube grise des flaques.

 

Près de moi Nathalie, qui vient d’aller voir de près le tunnel creusé par les petits, continue à lire son roman qui parle de peinture : grandes lunettes noires, ronds rouges et bleus sur sa robe noire, lumière sombre.

 

L’heure sombrement tourne et le parc se vide. Un coup de vent frais dans la tiédeur de juillet, un peu de bruine : c’est toujours ainsi, et les enfants le sentent bien et redoublent d’entrain, formant soudain une bande qui spontanément se ligue contre le temps, contre l’heure de partir.

À quelques mètres de là on entend le métro qui s’arrête et repart : si on ferme les yeux on est simultanément sur le quai d’une gare, à la plage, en forêt, en pleine ville (comme dans un tableau, un poème, un pli de la mémoire).

 

Ainsi on continue. On promène notre nostalgie, plutôt que nos « anomalies », du passé, du présent. On est encore là, dans tel autre parc parisien où les enfants jouaient − mais elle était en vie, avec nous, et elle les regardait jouer alors autrement que par la mémoire de mes yeux. Place de la Concorde là-bas, c’est la dernière image d’elle et − inutile de chercher même à s’approcher, on ne trouvera rien, mieux vaut ne saluer que de loin.

 

J’aime, dans un voyage, repasser par des lieux déjà connus, visités, appréciés, et m’appuyer sur eux avant d’aller ailleurs, plus loin − de prendre telle rue ou nous nous étions arrêtés, de voir telle église qu’on n’avait pas pu voir, etc.

 

Avant-hier, Bonnard à Orsay puis, à la Sainte-Chapelle, Vivendi, Pachelbel, et l’or de nos mémoires, la musique comme un baume.

 

Hier toute la clarté des toiles aborigènes dans la pénombre du musée du quai Branly.

 

Aujourd’hui le ciel gris, les grands pins, les enfants qui jouent − ont fini de jouer − au parc Montsouris.

 

« Fatima ! Il mange le sable ! Louis, il mange le sable ! » dénonce à voix tonitruante la petite fille absolument scandalisée…

20 juillet 2015

 

Ce contenu a été publié dans Paris. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.