Paris, pour apprendre (juillet 2015)

 

 

 

AU SQUARE FERDINAND-BRUNOT

 

Parisjuillet201503

Retour au square du linguiste. Les enfants jouent dans le sable, rient, et crient. Les pleurs dun bébé soudain arrêtent l’espace, chacun dresse la tête − même la corneille interrompt son nourrissage − pour s’assurer que tout va bien, qu’il n’y a rien de grave.

 

Tout va bien, il n’y a encore rien de grave.

 

Le malheur engendre le récit, la contemplation dégagée − disons, dégagée du pire malheur, de celui qui fait qu’on ne peut rien construire − génère parfois le poème (quatre ans plus tard je relis ces notes en ayant précisément dans l’idée de fabriquer, pour la première fois, une sorte de roman.)

 

« Les genres littéraires sont des ennemis qui ne vous ratent pas, si vous les avez ratés, vous ! », disait Michaux.

 

Je peine à choisir, brouillant les lignes des horizons d’attente, mais ma vraie perspective (celle d’alors) reste celle du poème. Même enchâssé dans la prose du trop personnel, du quotidien, du banal, ce que je cherche à délivrer est toujours le diamant d’un poème, livré brut, opaque, peu travaillé, à peine détaché des parois de la vie.

 

Dans le récit assez poignant que je suis en train de lire et que j’emporte avec moi au square, il est question d’un oncle qui fait montre d’une « telle passion pour les arbres, le mouvement des vagues, l’envol d’une perdrix ou des oiseaux de mer » que la jeune héroïne narratrice, enfermée dans un cycle infernal de silence malsain et de souffrance, s’en trouve « transportée de joie ». Mais pour remonter jusqu’aux sources de cette joie (qui n’est d’ailleurs chez cet oncle qu’une façade qui cache, à peine, des turpitudes vraiment infâmes) un récit nous est nécessaire.

 

« On ne reçoit pas la sagesse, il faut la découvrir soi-même après un trajet que personne ne peut faire pour vous, ne peut vous épargner, car elle est un point de vue des choses. » (Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, en exergue de La permission de Brigitte Lozerec’h.)

 

La sagesse, ou disons la grâce de ces moments où le temps s’intensifie, où quelque chose entre soi et l’espace s’équilibre, cela nous est donné ; mais pour pouvoir l’accueillir il faut ce long trajet qui peut-être, pour l’écrivain, celui de la prose plus ou moins narrative. Ce détour est d’autant plus inévitable que l’accès au poème, même sans malheur identifiable, irrémédiable et racontable, semble plus que jamais nous être refusé. Sa lecture même demande une lenteur à laquelle la plupart des lecteurs se refusent, ainsi qu’une disponibilité, une capacité à s’abandonner, à ne pas chercher à maîtriser ni à comprendre qui font la plupart du temps défaut.

 

Retour, donc, au square et à la prose ordinaire des jours extraordinaires.

 

Tout y paraît paisible, à cause des enfants qui jouent à tracer des traits dans le sable, de la femme qui lit son journal sur le banc d’à côté, des va-et-vient des passants, de la tiédeur de juillet et de Nathalie qui est encore là, qui est avec moi, qui lit près de moi un livre intitulé Trait pour trait.

 

Je regarde, je savoure, puis je file la rejoindre dans le silence ouvert, vibrant et complice de la lecture.

 

18 juillet 2015

 

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