Octobre à Barcelone

SAGRADA FAMILIA

sagrada

L’arbre à la fenêtre de mon atelier, voilà mon véritable maître.

Gaudi

J’ai souvent comparé la grande forêt amazonienne à une cathédrale. Voici cette fois une cathédrale (une basilique) qui mime la grande forêt avec ses troncs gigantesques, ses lumières tamisées que filtrent les vitraux (certains ne sont pas achevés ce qui gâche l’éclairage), et la lumière naturelle qu’on aperçoit sur la voûte.

Beaucoup d’espace, de lumière, de hauteur.

De l’extérieur le monument, qui frôle (fait plus que frôler…) le kitch, le décor de carton-pâte pour parc d’attraction, évoque ces châteaux que l’on construit, enfant, avec du sable mouillé qu’on laisse couler en tortillons compliqués pareils aux déjections des coquillages (ma mère aimait faire cela avec l’enfant que j’étais, elle prenait un plaisir manifeste dans ces formes contournées, ces arabesques, ces festons, alors que les pâtés de sable bien réguliers, militaires, que l’enfant répétait à l’aide de son seau ne l’intéressaient pas du tout : Gaudi plutôt que Le Corbusier !).

L’enfance, la nature, toutes choses que Gaudi n’avaient pas reniées.

À cause de la lumière excessive que laissent passer les vitraux inachevés, de la foule touristique qui fait une bruyante rumeur de cris d’enfants, de conversations mondaines et d’appareils photos, à cause des travaux qui ajoutent encore le vacarme des marteaux-piqueurs, on peine cependant à éprouver ici l’émotion du sacré. Une forêt, une vraie grande forêt, ferait davantage l’affaire. On sort, et on écoute, de l’extérieur, assis sur le banc d’un square où les enfants jouent, le carillon midi qui émeut davantage que la musique enregistrée de l’intérieur.

Oui, sans doute, cette tentative pour trouver un équivalent architectural aux formes et aux forces de la nature laisse dubitatif, parce que le monumental nous gêne et qu’on préférerait plus petit, plus modeste, que les temps ont changé, que ces fastes en l’honneur d’un créateur et au nom d’une transcendance auxquels on ne croit pas mettent un peu mal à l’aise. Mais il y a là aussi quelque chose de touchant : dans ce ballet des grues, cette immense et grouillante entreprise humaine, cette folie babélienne de relier la terre et le ciel, et cette lumière douce qui caresse la pierre et qu’on retrouve aussi sur l’ocre clair du sable.

Les enfants jouent au pied du monument. Certains ont pris des seaux colorés, des pelles, et font des pâtés de sable… À soixante mètres de hauteur jouent aussi les adultes, et tous sont pareillement baignés par cette lumière dorée de Barcelone et pris sous le même ciel bleu que traversent les grues, les avions, les perruches.

 

24 octobre 2014

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