Notes du Pantanal

 

 

 

9.

Épilogue :
Campo Grande, Brasilia, Macapa, Cayenne.

 

 

Pantanal80

 

Jeudi 20 avril.

4h30 du matin, aéroport de Campo Grande. Réveillés bien avant 3 heures dans ce petit hôtel propre mais bruyant que nous avons eu tant de mal à trouver, nous voici de nouveau attendant dans le hall d’un aéroport. On arrivera à Macapa dans l’après-midi, et demain en fin de journée à Cayenne. Pour passer le temps, je vérifie dans les toilettes de la salle d’embarquement le sens dans lequel tourne l’eau du lavabo : ce n’est pas si facile à voir, mais c’est bien dans le sens des aiguilles d’une montre…

Peu de choses à dire de cette fin de voyage semblable à toutes les autres : fatigue, lenteur, plaisir du retour aussi. L’arrivée à Campo Grande a été laborieuse, car la ville est immense et les directions au Brésil rarement indiquées. Nous tournons plus d’une heure à la périphérie avant de retrouver l’aéroport, puis l’hôtel Iguaçu où nous déposons les bagages avant de retourner rendre la voiture à l’aéroport. Nous repartons en taxi dans un bar-restaurant branché du centre. Petite salle sombre, musiciens, on mange bien et l’on boit, une fois n’est pas coutume, des « daïquiris » (groseille, rhum, sucre). On se couche tôt, vers 21h30. Un journal télévisé en français m’apprend qu’en Italie, Berlusconi a été battu aux élections.

21h, hôtel Mara, Macapa. Nous voici enfin à Macapa après un voyage fatigant et ennuyeux, fait de descentes et de remontées. Courte escale à Goiana, que je n’imaginais pas aussi vaste, puis à Brasilia : impeccable file indienne d’Indiens brésiliens revenant d’une conférence nationale des peuples autochtones et regagnant Belém – on retrouve des types familiers. À Macapa, où nous atterrissons vers 14 heures, nous retrouvons un temps gris, très humide, et cette chaleur moite qu’il va falloir réapprendre à supporter – à laquelle on se réhabitue vite, en fait. L’hôtel est laid, comme tous les immeubles de Macapa, mais la chambre correcte – l’eau, dans le lavabo, coule à nouveau dans le sens inverse des aiguilles d’une montre.

On marche dans Macapa, espérant trouver quelque chose à acheter – et on trouve : je repars avec un certain nombre de disques de bossa nova, de Gilberto Gil, ainsi qu’un DVD clandestin de ce spectacle de Banda Calypso diffusé par la télévision brésilienne pour le nouvel an, et que j’avais regardé depuis notre chambre de Belém…

On zone le long de l’Amazone, jusqu’au bout de cette jetée que nous connaissons bien. Des garçons s’amusent à se battre dans la boue du fleuve, l’eau monte à grande vitesse. Un, puis deux dauphins sautent, quelques cormorans et des sternes volent dans l’air lourd. On achète à un gamin un paquet de noix de cajou, que l’on mange avec plaisir.

Les yeux de l’hôtesse du Mara s’étaient mis à briller à l’évocation du restaurant de l’Estaleiro ; quand on y mange, le soir venu, on la comprend. Dans un décor marin chargé, on déguste pour presque rien un poisson au tucupi qui éclipse aussitôt les poissons vaseux que nous avons parfois tenté de manger dans le Pantanal (où les poissons n’ont en rien les qualités de ceux que l’on trouve dans la région amazonienne). Cela restera de loin le meilleur souvenir culinaire du voyage (souvenir bien fugace, d’ailleurs, dont il ne reste aujourd’hui que ces lignes qu’on est prié de croire sur parole, mais qui n’évoquent plus aucun goût dans la bouche).

Retour à l’hôtel, où le vacarme du climatiseur couvre celui de la rue. On s’effondre dans le grand lit.

 

 

Vendredi 21 avril.

 

Le voyage est fini, semble-t-il. Resté seul à l’hôtel je regarde les gens et les voitures passer en contrebas de cette grande artère encore trempée de la dernière averse. Vapeurs d’essence qui donnent la nausée, musiques et moteurs. Le téléphone sonne, mais je ne comprends pas ce qu’on cherche à me dire en brésilien, et mon interlocuteur finit par se lasser. Passent les bus à grand fracas. Enseignes violemment colorées : Importadoro Macapa, Petrobras, Amaflam, Cerpa, Amazon Santarem, Casa Brasil, Bom de Preços Modas… Un camion stoppe juste sous ma fenêtre : Pantanal distribudora, avec un jaguar en écusson. L’air saturé d’essence et d’humidité suffoque un peu, je regagne parfois l’intérieur de la chambre pour me donner l’illusion de respirer.

De ce petit balcon miteux, on a vue plongeante sur ces bâtiments en ruine ou en construction, ces morceaux de fer rouillés, ces murs en briques qui semblent sur le point de s’effondrer, ces façades aux peintures écaillées.

Passe la marchande de parépous, avec sa brouette de fruits rouges.

Passe un gentleman en tongs vertes, short blanc et béret bordeaux.

Un chien s’étire et se roule en boule à l’angle de l’avenue (les chiens ont aboyé toute la nuit). Un motard au tee-shirt marqué : « Jesus pode fazer o impossible » file en pétaradant. Encore un bus « uniaõ Macapa » et un autre, « Amazon tour », que je vois passer entre les câbles électriques qui quadrillent le ciel de toute la ville, et sur lesquels, parfois, un bleuet (tangara évêque) se pose. Cinq ou six urubus tournent dans le ciel gris sombre. Quelques pigeons bizet, aussi…

Le bus Santana/Macapa remonte la rue – puis de nouveau la marchande de parépous poussant sa charrette au milieu des voitures. Une camionnette équipée de haut-parleurs circule lentement dans la ville pour annoncer avec emphase quelque événement formidable dont je ne comprends pas la nature (ce n’est certainement pas notre retour en Guyane). Une voiture bordeaux se gare sous mon balcon, diffusant à tue-tête le dernier tube de Banda Calypso, « Isso e Calypso » ; un gros Indien baraqué et moustachu en sort et claque violemment la porte. La musique s’arrête.

Bientôt, le spectacle me lasse et je retourne m’allonger. Je ferme les yeux. Je vois un vol de aras hyacinthe et deux jabirus…

12h30, aéroport de Macapa. L’organisation de l’enregistrement ressemble à une mise en scène de Tati : en guise de contrôle des bagages, on effectue quelques pas de danse autour d’un portique ; Delphine se retrouve avec le billet de quelqu’un d’autre, suite à une erreur de la Taf, et il n’est pas possible de retourner manger les mauvais sandwiches du bar parce que nous devons rester confinés dans la salle de ceux qui partent pour la Guyane (on ne comprend pas pourquoi). Cela ne nous empêche pas de reprendre l’avion et de retrouver notre Twingo bleu à l’aéroport de Rochambeau.

 

Le premier grand plaisir du retour est de revoir les images prises lorsque nous étions là-bas, dans le Pantanal, où nous retournerons peut-être si les finances et le destin le veulent (il n’en a rien été)…

 

Le deuxième est de mettre au propre sur papier glissé dans de brillantes pochettes plastifiées les dites images ainsi que les notes griffonnées sur le carnet.

 

Le troisième est de s’en souvenir, des années plus tard, et de se dire qu’on a bien fait de s’en aller pendant qu’on le pouvait car on a pu de visu voir à quel point notre monde était beau.

 

Mato Grosso, avril 2006 / La Table, avril 2019.

 

 

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

 

 

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