Notes du Pantanal

 

 

 

 

2.

À la recherche de la Cité de Pierre

(excursion au Parc National Chapada dos Guimarães)

 

 

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Dimanche 9 avril.

7h30, nous quittons l’hôtel pour une excursion au parc national Chapada dos Guimarães, au nord est de Cuiabá soit la direction inverse de celle du Pantanal : un peu de montagne en hors d’œuvre aidera à mieux goûter les charmes des plaines inondées. Le plein est fait, les freins semblent bons, le soleil éclatant. Nous roulons à travers les grandes artères, puis les faubourgs de la ville, déserte en ce dimanche matin. Bien vite, dès la sortie de Cuiabá, le paysage devient sauvage : forêt de petits arbres à perte de vue, et la crête des montagnes au bout de la route.

Le voyage commence.

À mesure que l’on avance sur cette route incroyablement rectiligne, le paysage devient de plus en plus montagneux, évoquant ce qu’on imagine des Montagnes Rocheuses, à cause de la pierre rouge. Brève halte au village de Salgadeira. Le temps se couvre.

À 8h35, deux aras bleus traversent, puis deux autres que nous suivons un temps avec la voiture car ils volent le long de la route. Ils passent juste devant le pare-brise, puis nous les perdons de vue. Nous traversons un haut plateau aride, qui s’ouvre brusquement sur une large faille dans laquelle tombe le « véu de noiva », le « voile de la mariée », une chute d’eau de quatre-vingt six mètres. À l’intérieur de cette vaste dépression, c’est un toute autre univers, à nos yeux plus familiers : une forêt tropicale-équatoriale semblable à celle qui pousse en Guyane.

 

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Nous laissons la voiture pour marcher le long de la falaise (urubus et caracaras planant dans le ciel) ; puis nous trouvons le sentier qui permet la descente, et pénétrons dans la forêt. Marche parfois laborieuse dans le sous-bois encombré, jusqu’à la chute, au pied de laquelle je griffonne maintenant ces notes.

J’aime ce vacarme d’eau et ces embruns qui voltigent et picotent la peau. La violence de la chute projette sur le gazon et la mousse rase qui recouvre la cuvette des nuages de vapeur d’eau qui remontent le long de la falaise comme un brouillard de montagne (montagne, falaise, écrire ces mots renforce le plaisir d’être là). La roche, ici aussi, est rouge, recouverte de plantes grasses, de joubarbes géantes, de sortes de cactus incongrus. Je me rapproche encore un peu de la chute, laissant là le carnet et l’appareil photo, et je regarde un moment l’eau qui tombe. Ce brumisateur géant trempe en un instant, ce qui fait le plus grand bien car la chaleur reste étouffante.

On remonte jusqu’au dessus de la chute : une crique modeste coule là haut, puis se précipite en silence dans le gouffre. Passent, tout là-bas en bas, un, puis deux oiseaux au corps gris, rond, tête rouge (cotinga pompadour ?). Je reste un moment à regarder la forêt, le plateau, la chute d’eau, deux faucons, un gecko couleur de pierre. La pluie se met à tomber.

 

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On repart bientôt sur la piste. Il doit être dans les onze heures, peut-être moins. Nous voulons maintenant nous rendre à ce qui constitue le deuxième site remarquable de la région, la « citade de pedra ». Voici ce qu’en dit le Lonely Planet : « Avec ses formations rocheuses semblables à des temples de pierre, la Citade de Pedra regorge de panoramas inoubliables. Elle se trouve à 20 km au nord de Chapada, sur la route d’Agua Fria. De Chapada, prenez la MT-251, parcourez 6 km vers l’ouest, puis tournez en direction d’Agua Fria ».

Cela semble simple et, avec des indications, il aurait sans doute été possible de trouver assez facilement ; nous y passerons la journée.

D’abord, nous roulons jusqu’à Chapada, où nous tournons un moment dans l’espoir de trouver une direction « Agua fria ». Il bruine de plus belle. Chouette endormie sur un piquet en bord de route. Comme la route est belle et qu’un panneau nous en montre la direction, nous roulons jusqu’à un point de vue où nous pensons pique-niquer. Quelques voitures sont arrêtées. Il pleut, et l’horizon est absolument bouché. On mange en hâte puis on repart à Chapada interroger les gens sur la route à suivre.

Bientôt nous voici de nouveau sur la route qui mène de Chapada au « veu de noiva ». Six kilomètres, mais aucune piste digne de ce nom – peut-être une, sur la droite. Le gardien d’une poussada nous indique un chemin, qui s’avère être celui de la chute ; c’est finalement le gardien des dites chutes qui nous explique la route à prendre pour trouver la fameuse cité de pierre : il s’agit certainement de cette piste que nous avions dédaignée, qu’il faut suivre sur vingt kilomètres avant de bifurquer sur la gauche.

Nous roulons sur la piste, à travers la végétation rase. Soudain, voici un superbe toucan toco posé à quelques mètres à peine, dans un arbre rabougri. Nous l’observons longuement. Le chemin sera dès lors ponctué par les apparitions de ce joyau, qui ne nous quittera plus jusqu’à la fin du voyage sans pour autant qu’on s’en lasse.

 

 

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À quatorze heures, il fait si sombre que l’on se croirait au crépuscule.

14h30, toucan toco en vol. Plus loin, un oiseau d’une taille étonnante se tient juché sur un arbre mort. Cela ressemble à une autruche, aussi le baptisons-nous « autruche des sables » ; il s’agit en fait d’un secrétaire, que nous reverrons souvent au cours du voyage.

 

 

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14h45, toujours à la recherche de la Cité de Pierre (existe-t-elle ?), 20 km de piste en direction d’Agua Fria. Sable rouge, fazendas immenses, nuages, poussière, lumière. On se dit que les pistes, ici, sont plus sûres qu’en Guyane, car il n’y a pas d’orpaillage. C’est bien naïf, en fait, car Agua Fria n’est rien d’autre qu’un village de chercheurs de diamants. Sur notre gauche, nous apercevons des formations rocheuses qui pourraient bien être celles de la fameuse « cité de pierre » – un site naturel, et non un village ; mais aucune piste ne se dirige dans cette direction.

15h15, grèbe minime dans une flaque d’eau. Troupeau de zébus dévisageant les intrus, ainsi que le font les bovins du monde entier. Nous faisons demi-tour peu avant le village.

16h40. Nous remontons une nouvelle piste, très sableuse et apparemment interdite par une pancarte. Ballet des « autruches des sables ». Je photographie un martin-chasseur.

Le soir sera bientôt là, et nous renonçons à trouver la « cité de pierre », sans éprouver pour autant la moindre déception. « Faisons demi-tour ici. – Non, il y a trop de sable. Allons un peu plus loin. » Un peu plus loin, une nouvelle bifurcation laisse entrevoir un nouveau panneau sur notre gauche. On va voir. Je suis certain que nous touchons au but… Le paysage s’ouvre et s’agrandit, tout se dégage…

 

 

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Montagnes orangées, falaises, plaine immensément verte, et la lumière du couchant qui enflamme tout cela. C’est féerique, et nous arrivons au moment idéal, avec la lumière qu’il fallait. Plaisante sensation d’être là où il faut, et quand il faut. On part marcher le long des falaises. Il ne sera pas possible de pousser très loin la balade, car la lumière décline, mais ce n’est pas très grave.

 

Observation d’un serpent – l’une des trois espèces, la plus rare en l’occurrence, des serpents lianes présents en Guyane, précise l’ami herpétophile.

 

Au moment où nous partons, une femme très belle arrive, accompagnée d’un photographe, et prend la pause devant les montagnes ; il s’agit vraisemblablement d’un mannequin, dont il nous semblera plus tard reconnaître le visage sur certains panneaux publicitaires.

Le soir, retour à l’hôtel. Interminable attente au restaurant, où nous mangeons froid et mal (ce qui importe peu). Sommeil hypnotique. Pluie dans la nuit.

 

 

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