Notes du Pantanal

 

 

 

3.

Le long de la Transpantanéira inondée.

 

 

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Lundi 10 avril.

 

8 heures, nous quittons l’hôtel sous des trombes d’eau tiède. On espère, sans trop y croire, trouver une route point trop inondée ; quand on regarde le ciel (en se protégeant les yeux avec le parapluie), on y croit encore moins… Nous transportons de la chambre à la voiture et nous cachons dans le coffre, avec des précautions de braconniers ou de trafiquants d’armes, un sac de petits pains et de toasts discrètement subtilisés pendant le petit-déjeuner : on tiendra, même bloqués par les eaux !

 

10h30, en route pour Poconé : deux capucins traversent, que nous observons un moment dans les arbres. Pluie, ciel bouché. Voici notre premier jabiru, tache blanche au milieu d’un pré, et une troupe de spatules roses…

 

 

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Vers onze heures, nous atteignons enfin Poconé, la « porte du Pantanal ». Un douanier brésilien nous arrête, non pour contrôler nos toasts froids mais pour nous expliquer que nous ne pourrons pas aller plus loin avec notre Gol : pour rester à Poconé, pas de problème, mais une petite voiture ne peut s’engager sur la Transpantanéira alors que la décrue, anormalement tardive cette année, n’a pas commencé. À une dizaine de kilomètres du début de la piste, un pont aurait été coupé. Nous sommes déconcertés. À la station service où nous faisons le plein, ces informations nous sont confirmées. Nous cherchons un moment dans cette bourgade sinistre qui n’est pas sans rappeler Oyapocké, avant de trouver une carte téléphonique et un appareil qui fonctionne : il faut joindre cette dame si gentille de la pousada Rio Claro, et demander à ce qu’on vienne nous chercher ; mais dans ce cas, il faudrait laisser la voiture, ce qui est absurde et dangereux. Retourner à Cuiaba serait désastreux, s’engager quand même sur la piste, histoire de voir, et rouler jusqu’à une pousada moins éloignée (mais il n’y en a a priori aucune) semble plus raisonnable. Après tout, il n’est pas impossible que les gens de Poconé cherchent à retenir les touristes afin de profiter un peu de leur présence et de leur portefeuille…

On finit par joindre la dame, avec laquelle on s’entretient dans un anglais approximatif mais efficace. La piste, dit-elle, est praticable, on peut passer même avec une petite voiture, sauf tout à la fin : des gens nous attendront alors avec un bateau pour nous amener à la pousada. (Ce que nous ne savons pas encore, c’est que cette dame, elle, n’est pas du tout sur place, où il n’y a plus de téléphone…) Nous quittons donc Poconé, rassérénés. Nous verrons bien.

 

 

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Dès les premiers mètres sur cette piste cernée par les eaux, on pénètre au cœur d’un marais géant, et le spectacle est si beau qu’on en oublie l’inquiétude de ce pont effondré et de la route coupée – et même, toute inquiétude. C’est d’abord une explosion d’oiseaux : pics jaunes, jabirus, spatules roses, hérons, aigrettes, martins pêcheurs, perroquets de toutes sortes… Mais les quelques panneaux de signalisation qui longent la piste laissent présager bien d’autres merveilles : cabiaïs, caïmans, tamanoirs… « peuvent traverser » ! À la première halte pour observer les jabirus, trois caïmans de taille honorable quittent bruyamment la berge ; je photographie le dernier.

Le temps, comme par miracle, s’est remis au beau, mais les eaux menacent sérieusement la route et, par endroits, débordent dangereusement. Bientôt, voici notre premier passage difficile. Nous sortons, jugeons de la profondeur et de la force du courant, arrachons quelques plantes qui risquent de gêner le passage…

 

 

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Nous lançons alors la Gol et, à vitesse réduite, franchissons brillamment la première épreuve, sous le regard amusé de quelques Brésiliens à bicyclette. « Avec la Gol, ça passe, pas de problème sur la piste… » (nous en croisons d’ailleurs une qui revient : est-ce parce qu’elle est passée et rentre à Cuiaba, ou est-ce parce que la route est coupée ?). Le scénario se reproduit si souvent qu’il finit par en devenir presque routinier, la voiture et nous-mêmes nous trempant un peu plus à chaque fois…

Tout au long de la route, les caïmans sont nombreux. Une mère de bonne taille traverse, laissant de l’autre côté plusieurs petits qui piaillent (je ne savais pas que les bébés caïmans suivaient ainsi leur mère après l’éclosion). Lorsque nous traversons à pieds les passages inondés, ils nous suivent du regard, à demi immergés… (Ils sont a priori inoffensifs, mais mieux vaut rester prudent.) Un peu plus loin, allongé sur la route, voici notre premier cabiaï : profondément endormi, il daigne à peine ouvrir un œil à notre passage, lorsque je le photographie par la fenêtre ouverte… D’autres suivent peu après.

 

 

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Lorsque nous nous arrêtons pour manger nos toasts et nos petits pains, plusieurs aras hyacinthes traversent encore le ciel : masque jaune vif, plumage uni d’un bleu incomparable, c’est le plus gros et, à mon goût, le plus beau de tous les aras. Même si nous n’atteignons pas la pousada Rio Claro, nous savons maintenant que le voyage est sauvé. Nous roulons encore longtemps, nous arrêtant souvent pour contempler la faune ou traverser un passage inondé.

 

 

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15h10. Nous avons réussi ! Nous voici devant le portail inondé de la Pousada Rio Claro, au PK 42 de la Transpantanéira. Nous franchissons avec hésitation la grille close (je m’attends à voir surgir quelque taureau hargneux…), roulons encore pendant un kilomètre ou deux, puis nous sommes arrêtés par une nouvelle crique. Personne. L’un d’entre-nous part en éclaireur à la recherche de l’auberge, que nous imaginons juste derrière. J’en profite pour admirer les crabes, les caïmans, ainsi qu’un splendide Paroaria capitata (un cardinal à tête rouge) au bord de l’eau. Silence, attente…

 

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Notre éclaireur revient bientôt, mais bredouille. Passée la rivière, on arrive à l’étang, où ne se laisse deviner aucune habitation. Nous décidons finalement de passer avec la voiture cette ultime flaque, ce qui, dans ce sens, se fait presque sans encombre, et nous allons nous garer à l’embarcadère. Le mini-bus de la pousada, deux autres mini-bus et un tracteur sont stationnés, ainsi que deux canots. Nous klaxonnons vainement. Personne ne nous attend.

L’après-midi est bien avancée, maintenant : il faut agir. Sébastien et moi partons donc avec l’un des canots à la recherche de la pousada. Nous suivons ce qui semble être un chemin inondée : l’eau transparente laisse voir des traces de chevaux et de pneus. Je tire le canot, Sébastien utilise la gaffe. Où aller ? L’eau devient plus profonde, le jour décline. Nous décidons de suivre les fils électriques qui, immanquablement, doivent mener à des habitations – que nous ne tardons d’ailleurs pas à apercevoir au loin. Longue et pénible avancée dans ce paysage rendu plus beau encore par la lumière chaude du couchant. Un petit héron bihoreau se tient immobile parmi les herbes, lissant les plumes de son reflet… Je reprendrai plus tard les images de ce moment dans un chapitre de L’éloignement, en les rapprochant de l’histoire de Gilgamesh glissant sur les eaux mortes…

Nous arrivons enfin tout prés de la pousada, ces quelques bâtisses blanches qui forment un îlot précaire. Nous passons lentement les fils de fer barbelés censés clore un champ, puis franchissons, bien fatigués, le portique du Rio Claro.

 

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Silence. Voici une piscine et un puits bizarrement entourés par les eaux, un jardin inondé. Premiers pas lourds sur la terre ferme. On entend des voix et puis, enfin, voilà la délivrance, les Brésiliens qui vont pouvoir nous aider et revenir chercher Nathalie et Delphine avec le moteur ! Nous attendons encore un peu sur la jetée que revienne le canot à moteur, puis refaisons à vive allure le chemin qu’il nous avait fallu près d’une heure pour parcourir à l’allée.

 

Au soir tombant, nous voici installés dans nos chambres, dont la coquetterie et le luxe (il y a même un ventilateur) jurent avec le paysage. Fatigue, bonheur d’être là après cette longue et belle journée, dans la grande salle de ce restaurant presque vide que protègent les moustiquaires. Les paupières brûlent, la tête déborde d’images de paysages noyés et de bêtes…

 

 

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