Vigie, février 2023

 

Ma place au soleil

 

 

Bleutée sur les sommets, tamisée par une brume fine, la lumière est d’autant plus belle que je la retrouve après presque trois jours où il m’a fallu rester dans le noir, pris dans la torpeur du demi-sommeil des malades. C’est ainsi, cela arrive souvent : s’engouffrant dans la brèche de relâchement possible offert par les vacances, le temps de la maladie a succédé à celui du travail.

Je choisis pour recommencer une très courte promenade, celle que je faisais quand Rimski était tout petit, autour de la gouille du Villard. C’est merveille que de marcher à nouveau à travers le pré gelé où alternent la neige cassante et l’herbe grise. Temps sec et froid. Martèlement d’un pic, litanie de tourterelles (cette nuit c’était la hulotte qui chantait fort dans le jardin).

Partout les traces de chevreuils, les traces du passé. Chaque fois que je passe dans ce grand pré je me revois avec mon père et ma mère pendant l’hiver 2007, quand nous réfléchissions à l’achat de la maison et nous promenions par ici. Je serais triste de devoir la quitter, ma « place au soleil », et de vivre dans un endroit coupé de ces souvenirs où il me faudrait me promener seul sans ces ombres bienveillantes.

Toute la combe résonne à présent du martèlement des pics (j’en compte quatre) et des appels des passereaux. Bien sûr le printemps est tout proche maintenant, qui couvait dans l’hiver comme le retour de la vigueur pendant la maladie. Le passage d’un troupeau affole complètement Rimski, qui pousse des hurlements aigus puis se met à grogner comme un sanglier, provoquant en réponse les aboiements du chenil d’en face (pauvres voisins) : c’est une cacophonie digne des aubes en Guyane. On rentre à petits pas.

Un temps, puis je repars en quête de rien, les deux mains dans les poches, mon chien à ma taille. Ici ou là, la neige est parsemée de taches jaunes safran que je prends d’abord pour de l’urine de cervidé avant de me raviser : ces traces sont bien trop larges et trop claires, il ne peut s’agir que de pollen, et comme à cette époque de l’année seuls les noisetiers sont couverts de chatons, de pollen de noisetiers. Un examen plus attentif confirme mon hypothèse : tout au long de l’allée des noisetiers, la neige semble éclairée de l’intérieur par cette couleur nullement pisseuse mais subtilement lumineuse, que Rimski cependant dédaigne en levant la patte pour imposer ses propres traces.

Il fait froid, certains petits ruisseaux libérés avant-hier sont à nouveau gelés et les méduses de glace luisent sur les rochers. La lumière s’éteint peu à peu. Je marche, les deux mains dans les poches.

06/02/23

 

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