Vigie, février 2023

 

 

« Voici les clés d’une éclaircie »

 

 

Il suffit de se montrer patient, vigilant, attentif, comme un piéton qui traverse un assez long tunnel, comme l’insomniaque ou le malade enfermé dans le puits de la nuit, le poisson prisonnier de la flaque pendant la marée basse, le Samoyède en été, le Saluki en hiver, les habitants du cercle polaire qui attendent six mois que se lève un demi-jour…

Il suffit d’être confiant, d’avoir foi en la vie, comme la femelle de l’éléphant pendant les deux années de gestation, comme le peintre devant la toile vide qui pressent la possibilité d’un chef-d’œuvre, comme Higelin chantant « Pars » à celle qui le quitte (« reviens-moi vite »), comme un torrent gelé, comme ces grenouilles pétrifiées que la pluie réveillera sans doute un jour, comme le manchot avec son œuf qui voit partir sa compagne ou son compagnon en quête de la nourriture qui les sauvera.

Il suffit d’un peu de nonchalance pour accueillir soudain la petite avalanche de la branche qui claque comme la corde lâchée d’un arc à cause de l’envol inattendu d’une troupe de tarins au-dessus du sentier ; il suffit ensuite de prendre le temps de les regarder un moment batifoler la tête à l’envers, ces drôles de fruits au bec fin, tout comme je le faisais naguère depuis la fenêtre de mon appartement de Chambéry, heureux de la surprise, des échos du passé et plus encore de la lumière qui enfin inonde les cimes des arbres.

Voici les clés d’une éclaircie.

Je crois que pour moi les mots sont toujours l’étincelle, en l’occurrence ici, dans ce vers de Vasca, cette allitération de [s] et cette assonance en [i] dont je me délectais sans trop me soucier d’un sens lorsque j’étais enfant, mais il est vrai aussi que d’aucuns peuvent s’en passer. Il n’est pas nécessaire d’être poète pour apprécier la vitalité retrouvée du torrent, la beauté de ces reflets ambrés qu’y rallume le soleil de février, et ces jets aléatoires de poudreuse comme du riz lancé sur le parvis – tu entends, camarade, nous sommes les mariés et ce sentier est notre église !

La volonté est utile aussi. J’ai décidé que février serait un chemin de lumière, ou bien chemin vers la lumière : cela m’oblige à tourner mon regard vers la dite lumière plutôt que vers les ombres, à ne pas prêter tellement attention par exemple aux traces boueuses laissées dans la neige et jusqu’au bord du Gelon par les motos, ni me laisser trop troubler par l’image des ruines sous leur linceul de neige, ou bien le souvenir de ce rêve larmoyant qui m’a réveillé en pleine nuit et dans lequel j’étais moi-même en ruine ; et si le chien comme toujours tire trop, mettant à rude épreuve mes genoux, se dire seulement que sa vitalité est belle, et belle la lumière qui l’auréole quand il bondit par-dessus les obstacles.

(Rimski, cependant, dans l’euphorie de la débâcle, retrouve sous le pont la mâchoire de cerf égarée l’an passé. C’est peu dire que ce jour est pour lui jour heureux. On revient triomphants, lui avec son os, moi avec mon texte.)

02/02/23

 

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