Vigie, février 2023

 

« Vers les lueurs »

 

 

Comme le vent a soufflé cette nuit ! Je l’entendais mugir dans le jardin, siffler à travers les branches des arbres les plus proches, gronder parfois dans les graves comme un orgue au fond de la vallée, et j’entendais le bruit de la bâche tendue sur le toit en réfection de la maison des voisins battre comme une voile de bateau. Agité moi-même par les derniers soubresauts de la maladie et par le trop-plein d’énergie accumulée pendant ces jours de claustration, j’ai fait des rêves confus et intenses. J’ai rêvé de voyage en Écosse, de falaises, de bateau. J’ai rêvé que j’étais étudiant et que, ne parvenant pas à me faire un ami, je partais seul au Groenland sur un coup de tête. Rêves venteux et brumeux, interrompus quelquefois par un coup de langue ou de patte de Rimski que mon agitation devait probablement gêner ou inquiéter (lui, en revanche, a dormi comme chaque nuit sans bouger dans le lit, étiré de tout son long près de moi comme un très gros chat).

Au matin le vent ne souffle plus qu’en de rares rafales. Le ciel est absolument limpide, la neige jonchée de débris. Pas de dégâts visibles, hormis l’attache d’un brise-vue qui a sauté.

Sans réfléchir je pars faire le tour habituel à une heure inhabituelle, et nous voici occupés à admirer au bord du Gelon, Rimski en aboyant et moi en me taisant, une biche qui bondit sur l’autre rive, follement élégante à mon goût, terriblement désirable à celui de Rimski. La lumière commence à déborder et coule jusqu’au fond du ravin. L’air froid engourdit un peu les lèvres. Atmosphère de plus en plus printanière, malgré la neige et la boue gelées dans lesquelles la botte ne s’enfonce pas. Quelques primevères au soleil sont en fleurs — mais celles-là, elles sont tellement pressées de fleurir qu’il n’est pas rare d’en voir s’épanouir en décembre. C’est toujours un très beau spectacle que de voir la lumière de l’aube arriver en forêt, de bas en haut, de la cime vers le sol ; est-ce que cela suffira à ressusciter ce grand ver de terre qui a gelé sur le sentier, faute d’avoir pu s’y enfoncer à temps ?

Soudain la boucle qui tenait la laisse cède sous la pression de Rimski, qui peut enfin réaliser son rêve de courir après des chevreuils. Je cours moi-même en montant vers la lumière, hurlant dans l’air encore bien froid du matin son nom qui sonne bien. Comme je le vois s’arrêter et s’asseoir, j’ai un instant l’illusion d’avoir été obéi, jusqu’à ce que je constate que c’est simplement la laisse qu’il traînait derrière lui qui s’est enroulée autour d’un arbre, mettant un terme à sa fuite.

Nous parvenons à La Martinette, un autre monde ensoleillé où le printemps vient plus tôt. Nous remontons ensemble dans la lumière. Un petit chat roux en nous voyant venir grimpe à un arbre jusqu’aux branches ensoleillées, on pourrait croire que c’est d’enthousiasme plutôt que de peur, déclenchant les rauques protestations des geais.

07/02/23

 

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