Vigie, février 2023

 

Brève averse un soir de sècheresse

 

 

Un pouillot, une mésange, une bergeronnette, deux pigeons qui volent au-dessus de la gouille, puis on perçoit soudain dans toute son ampleur le grand chant printanier des oiseaux, auquel se mêle le feulement des grenouilles rousses qui sont, mon dieu, fort en avance. À la première halte Rimski se met à creuser la terre redevenue souple et dont le contact m’évoque la peau de Galatée quand elle mollit et tiédit sous la main de Pygmalion… Le vent est tiède, la terre est tiède. Une corneille sautille dans l’herbe, bientôt rejointe par sa compagne ou son compagnon. Ici un névé fond, et là ce sont les primevères qui s’épanouissent en plaques contre le muret. Cliquetis d’alarme d’une pie. Chatons alourdis de pollen des noisetiers en fleurs. C’est aujourd’hui le trentième, le trente-et-unième jour sans pluie.

Puis l’heure et le temps tournent et le soir retombe. Le ciel trop bleu a fini par virer au gris et l’on sent revenir la possibilité d’une averse. En contrebas du chemin boueux retentit le vacarme d’une tronçonneuse, la même qu’hier, et l’on entend encore le fracas d’un arbre qui tombe. Une plaque de glace craque sous le pas. Les perce-neiges dans la pénombre tracent aux emplacements des anciens névés des cercles livides. Rimski hâte le pas, le museau au sol – une poignée de friandises m’assure sur cette pente particulièrement raide sa docilité. Dans le fond de la combe c’est encore l’hiver que souffle au visage le bien nommé Gelon. Et puis, passée la croix des deux arbres, on se détend. C’est la paix du soir, les oiseaux ne semblent plus chanter que par plaisir ou dans l’attente d’un événement heureux, sans souci d’un territoire à défendre ou d’une femelle à conquérir. C’est l’heure où l’on se dit qu’il est trop tard pour continuer certaines tâches ingrates qu’on aurait eu scrupule à interrompre plus tôt dans la journée, et où l’on se sent donc libre, libre de flâner les deux mains dans les poches sans autre tension que celle de la longe. L’air se radoucit à mesure qu’on remonte vers La Martinette. Juchée au sommet d’un épicéa, une grive musicienne lance un chant que j’ai envie d’appeler « chant de pluie », car au même instant quelques gouttes d’eau commencent à crépiter sur les feuilles desséchées.

Je me dis que c’était bien l’arrivée de la pluie que les oiseaux saluaient. L’odeur qui monte soudain du sol fait oublier la clarté du chien blanc qui, l’instant d’avant, captait toute mon admiration. Je continue, paupière mi close, en proie à une extase aussi brève que cette averse.

19/02/23

 

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