Route, mai 2015

  

  

COMMENT VA LA ROUTE ?

 

 

Comment va la route ce matin ?

Elle a le teint brouillé, les traits pas très nets, du flou dans les forêts, des flaques plein les ornières. Elle est grise et froide, elle a froid comme une petite vieille ratatinée dans un coin de l’hospice. Les vaches lui tournent le dos et broutent les hautes herbes qui gagnent sur le goudron. Les maisons l’ignorent, portes et fenêtres fermées à cause du petit froid de mai. La bruine la crible. Je la trouve étriquée, plus petite, plus courte que d’habitude. Plus que les hautes herbes, le brouillard ou la pluie, c’est l’inattention des passants qui en avale des pans entiers, et nous voici à l’arrêt de bus de Presle sans qu’on l’ait vu filer. (Sur l’abribus une pie joue les vigies – attentive, elle, sans aucun doute.) 

La portion de route récemment refaite est toute jonchée de fleurs blanches, comme pour préparer une procession. 

À Arvillard les travaux de refondation, de reconstruction et de réfection vont bon train. On roule jusqu’à la grande grue, on jette un œil aux travaux, un œil aussi à cette maison en face dont on refait le toit, on slalome lentement et puis on se laisse glisser en ligne droite jusqu’à la croix, jusqu’au pylône, jusqu’à l’usine et la frontière, puisque la route relie la Savoie à l’Isère.

Soudain la route se brouille complètement à cause de la pluie qui redouble et fait sur le pare-brise des gouttes si rondes qu’on hésite à user de l’essuie-glace. 

Ici la route grise rejoint le ciel gris ; là-bas la route beige rouvre le grand champ en deux, et ce sont aussitôt des images de plaie ou de fruits qui viennent en tête. 

Puis je m’arrête au bout d’un bras mort de la route.

 

20 mai 2015

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