Route, mai 2015

 

 

RETROUVER LE SAUVAGE

(quelques notes)

 

 

Le pollen se dépose sur le pare-brise comme sur la fenêtre de toit. Les bras nus sur le volant, je sens monter l’odeur de l’herbe coupée, le cricri des criquets. Comme chaque matin je me remets en route : la route est verte, la route est ouverte, la route est vaste, et belle, et sauvage !

Pour retrouver le sauvage il n’est peut-être pas nécessaire (même si ce peut être utile) de partir très loin dans des expéditions périlleuses. L’oiseau qui chante, posé sur le fil électrique, ne chantait pas différemment il y a vingt-mille ans. Cet homme qui remonte la route avec son chien, un bâton à la main, marche comme l’homme marchait. Il est évident que nos sens, avec la sédentarisation, se sont atrophiés, mais notre esprit s’est peut-être affiné aussi, pour certaines choses en tout cas. Je regarde les martinets voltiger au-dessus de Presle, et il me semble que quelque chose (j’ai conscience que c’est peut-être une illusion, une facilité de pensée et de langage) voltige aussi dans mon esprit. Sans doute sommes-nous collectivement moins intelligents que les peuples premiers, ainsi que je le lisais tantôt sous la plume de Jared Diamond ; mais nous restons humains, nous pouvons encore apprendre. 

Pour retrouver le sauvage il faut affiner la perception, travailler le langage en ce sens et d’une manière générale mobiliser toutes nos facultés en ce sens.

Naturellement l’homme occupé à tondre sa pelouse juché sur son petit tracteur semble loin du sauvage… Mais qui peut savoir ? Peut-être, Indien caché, scrute-t-il, hume-t-il en douce les champs et le ciel alentour ? 

Voici juste en bord de route un tableau forestier saisissant : la lumière du soleil fume à travers les feuillages et frappe la mousse au pied d’un très grand épicéa. Aussitôt me voici projeté à La Giettaz, au temps de cette retraite refondatrice pendant laquelle je tentais naguère de retrouver le sauvage. De cela, de ce contact renouvelé avec la terre, avec la forêt, avec ce qu’on n’ose même plus nommer la nature, de cela on ne peut pas faire l’impasse si l’on veut renouer un tant soit peu avec le sauvage. Mais à partir de là tout redevient possible ; même rouler « sauvagement » à presque quarante kilomètres heure sur une départementale de montagne…

  

11 mai 2015 

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