Route, mai 2015

 

 

LA ROUTE COMME UN SERPENT

 

 

La route en plein soleil comme un serpent s’étire et fait rutiler ses anneaux d’ombres et de lumières. On suit avec elle la courbe de la montagne et l’on remonte jusqu’aux crêtes dont les derniers névés ruissellent. De toute cette lumière on se nourrit, comme les arbres, comme les plantes et les bêtes se nourrissent.

Fleurs et fruits. On prépare ses fruits. Cet été je vous promets de beaux fruits. J’ai accumulé beaucoup de force, beaucoup d’images, et je vous promets de beaux fruits. Vous les mangerez et vous vous éveillerez, vous y verrez plus clair, tout vous paraîtra plus évident et plus mystérieux à la fois, vous verrez la nudité de toute chose et vous connaîtrez votre grandeur, votre fragilité. Nos routes alors seront reliées, tous les ponts rétablis comme après une guerre. Nous irons en paix autant qu’on peut l’être, en paix avec le monde, et la route et nous-mêmes. Ce ne sera pas la route éternelle mais la route paisible et lumineuse même sous les nuages, même sans les fastes des hautes herbes, des frênes en fleurs et de la clarté de l’été. 

Je suis vraiment serpent, voyez-vous, j’ondule, je zigzague avec sensualité sur cette route encore froide où je me chauffe, où je me rassemble, où je ne prépare nulle morsure mais l’offrande du fruit. Bien sûr que je suis aussi un sacré rabat-joie, à voir et à montrer la mort partout où elle est (et elle est partout), à vous rappeler à chaque carrefour qu’il n’y a pas de paradis et que tout retombe en poussière ; je ne vous promets pas l’éternité mais la lucidité du fruit. 

La route est belle et sensuelle, qui se prolonge jusqu’aux crêtes et au-delà des crêtes, qui nous appelle, qui nous rappelle à la nécessité d’aller. Fais le plein de ta voiture et le vide en ton crâne, et repars sur la route claire qui t’appelle, qui te tente, longue, sinueuse et sensuelle comme un très beau serpent.

 

 

(Vu ce même jour sur la route du retour au soleil déclinant, et pour la première fois depuis des lustres, un serpent, une couleuvre à collier je crois d’assez belle taille, entrailles répandues sur la chaussée comme un fruit écrasé.)

 

28 mai 2015

 

 

 

 © Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

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