Vigie, juillet 2015

LE GRILLON DE L’ÉTÉ

L’été ivre mort s’écroule et s’endort, la vie s’évapore…

Jean Vasca, « Canicule ».

Canicule ! clame-t-on, canicule – et c’est vrai qu’il fait tiède, jusque dans ces montagnes. On s’assoit sur les hauteurs du jardin, protégé par la voûte claire des noisetiers et l’ombre du grand sapin. Dans le verger où broutent deux chevaux la voisine paysanne passe la faux ; on admire la précision de son geste et le jaune de la paille. Corneilles et pies se disputent bruyamment car le nid de la pie a été attaqué : crécelles d’alarme, tumulte, protestations, ce n’est nulle part la paix.

Canicule ! clame-t-on, mais ici on respire encore. La brise fait bouger les herbes que le chat attrape. Les bouleaux frissonnent encore. Aucun nuage, aucun orage en vue pourtant : c’est la grande et trompeuse stabilité de juillet qui pèse sur le pays.

Sonnailles, vrombissements, cris d’insectes et d’enfants sur fond de grand silence : on entre dans juillet. Pour la première année le petit cerisier malade a donné une poignée de petites cerises d’un beau rouge brillant, que les enfants et les oiseaux se partagent. Une voix lointaine dans le village dit qu’il fait chaud, et la brise s’arrête. On sent sur la peau de petites paillettes de chaleur qui éclatent comme des flocons. Clément cherche, et trouve, des fraises sauvages qu’il ramasse, mange ou me tend avec ravissement ; puis il reprend sa tâche qui consiste à éplucher consciencieusement, à la façon d’un écureuil, un cône d’épicéa.

Fruits rouges, champ jaune, soleil blanc, et la tache orange du grand parasol en contrebas.

Canicule ! clame-t-on. On se cherche, et on trouve, quelque chose à faire, quelque chose pour se protéger de la grande vacance qu’on sent poindre en juillet comme les arbres nous protègent du ciel trop vide. On désherbe. On rêvasse. On pense à quelque chose (ce cognassier planté l’an passé en pleurant, souviens toi…). On pense à autre chose. On boit du thé. On griffonne ces lignes sur le carnet.

Cela, ce griffonnage-là, ce n’est pas par peur de l’inutilité, non, ni par manie, ni par jeu, ni pour tromper le temps ; c’est juste un crissement presque machinal et qui ne gêne en rien − mon crissement de grillon de l’été.

1er juillet 2015

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