Vigie, juillet 2015

 

 

CÉRÉMONIE D’ÉTÉ

(où le deuil étincelle)

Au dehors on entend les feux d’artifice. Au-dedans je me tiens calfeutré dans ma cave pour ma cérémonie d’été. J’ai allumé un bâton d’encens, baissé la lumière et me suis saisi du bayan pour tenter quelques airs âpres, sombres, flamboyants quand même – « La liste de Schindler », la Chaconne de Pachelbel, « Libertango » (que je suis loin de pouvoir jouer entièrement)…

Cérémonie d’été et de nuit. Le chat Musique s’installe sur le transat et fait mine d’écouter.

Sur Internet j’admire la vidéo d’une amie courageuse partie jouer de l’accordéon dans les rues d’Avignon pendant le festival. Moi je joue seul dans ma cave pour un chat et une ombre (me dis-je pour me moquer – mais ce n’est pas incompatible, et ce n’est peut-être qu’une question de place et de tonalité…).

Je m’interroge sur la place prise par le deuil, auquel cette cérémonie de juillet est évidemment liée. J’ai déjà évoqué cette manière de faire des Amérindiens, que je trouve d’une violence inouïe : sitôt terminées les funérailles plus personne ne prononce le nom de la personne disparue. Sans doute est-ce une manière de maintenir la mort à distance, ou bien une marque de pudeur, voire de respect (on ne fait pas de la mort un sujet de conversation). Pour ma part je préfère la manière japonaise d’intégrer les absents, de faire même de leur absence un point d’appui. Il n’y a pas de lumière sans ombre…

Aujourd’hui cela fait un an que je n’ai pas vu ma mère, et je m’avise que cela n’était encore jamais arrivé (il y avait bien eu le départ en Guyane, mais je rentrais l’été ou mes parents venaient, et nous nous écrivions, nous nous téléphonions…). Ainsi le voyageur parvient-il soudain à cette frontière encore jamais atteinte et au-delà de laquelle il n’est plus tout à fait certain de revenir…

La nuit dernière me sont revenus des rêves si navrants que ce serait vergogne de les rapporter. De tels rêves épuisent davantage qu’une nuit blanche, aussi limité-je les risques du sommeil en écrivant ou en jouant nocturnement. Je prends le bayan dans mes bras, je le serre, je l’enserre, je respire avec lui : il fait les poumons plus vastes et, pourquoi pas, le deuil étincelant…

 

14 juillet 2015

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